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Les jardins de Calude
14 août 2014

Hôtel (très) particulier (IX)

IX

 

-          Quel jour sommes-nous ? s’enquit Jacques et quelle heure peut-il donc être ?

-          Au demeurant 15 heures, ou un peu plus, répondis-je. Quant au jour, je ne sais plus vraiment : 3 ou 4 août, étant donné que nos vacances commençaient le 2. Oh ! Et ma mère qui va s’inquiéter, je devais lui donner de nos nouvelles dès notre arrivée

-          N’oubliez pas que c’est son anniversaire demain, dit Juliette

-          -C’est vrai, j’avais oublié, toutes ces aventures m’ont un peu perturbée

-          Quel âge déjà ? demanda Jacques qui n’est jamais au courant des événements de la vie courante et encore moins de ceux de la famille

-          Oh, elle est très vieille, dis-je, étant donné que nous le sommes déjà à 42, que dire d’une ancêtre de 68 ans !

-          C’est vieux, ça, 68 ans, dit Juliette

-          Bon, allez, pressons le pas, et cherchons plutôt notre route, si l’on veut être au lac à 5 heures ! J’ai hâte d’aller piquer une tête !

-          Moi aussi, dit Juliette

 

Le chemin devenait difficile, il s’était encore rétréci par rapport à celui qui nous avait conduit à la taverne, il avait fallu nous réhabituer subitement à l’obscurité des lieux, et cela n’avait pas été facile, le décor paraissait à présent plus hostile, les roches plus hautes, plus noires et plus tranchantes et la vue beaucoup moins large, c’était une espèce de goulet où nous nous engageâmes sans grand enthousiasme.

-          Attention, m’écriai-je un peu plus loin

Un gros bloc de pierre venait de se détacher de la paroi et frôla Jacques à moins de 10 centimètres de son nez avant d’aller s’écraser quelques mètres plus bas dans un fracas épouvantable

-          Papa, papa ! s’écria Juliette en se précipitant sur son père

-          Ce n’est rien, ma chérie, répondit Jacques le plus calmement du monde et en faisant de son mieux pour la rassurer, juste une petite peur …

-           

Décidément mon époux m’épatait de plus en plus, il n’était plus loin, je crois, de décrocher la médaille couplée de l’héroïsme et de la bravoure … Il venait de passer à deux doigts de la mort et pour lui ce n’était qu’un incident anodin. J’aurais voulu le féliciter pour son courage, mais je m’abstins, ne voulant pas trop flatter son orgueil, je me demandais  surtout s’il n’était pas entré subitement dans un état second et si  ce courage et cette bravoure apparents n’étaient pas tout simplement la manifestation d’une soudaine inconscience. Le danger, cette vieille habitude

 

-          Hou, hou, Salut les gars, si c’est avec ça qui z’espèrent attirer l’tourisse, les épas, y s’contentent des pipes, les sacraments…

-          D’où vient cette voix, demanda Juliette, et qu’est-ce que c’est qu’ce charabia ?

-          Aucune idée, dis-je, on dirait que ça sort de ce gros trou, là-haut !

Nos yeux étant encore mal accoutumés à la pénombre,  nous ne parvenions pas à distinguer quel était l’être étrange qui s’y cachait.

-          Je crois voir deux oreilles et deux gros yeux, dit Jacques

-          Ca se peut bien, dis-je

-          On dirait une chouette

-          Ou un hibou

-          Hou hou, les gars, z’êtes pognés ici pour une bonne secousse…

-          Qu’est-ce qui raconte ?

-          Je crois que c’est du québécois, dit papa, qui avait fait un stage autrefois à Montréal, ça veut dire je pense : hou, hou, les gars, vous êtes coincés ici pour un bon moment !

-          Le trouble y vient d’la fan qu’était trop slack

-          Quoi ?

-          A force de zigonner su l’starter, t’as mis ta batterie à terre…

-          Monsieur Le hibou, on cherche la sortie, pourriez-vous nous l’indiquer, demanda poliment Juliette

-          Ca gèle en tabaslak dans c’te bouette …

-          Ca doit être un vieux fou qui se croit chez lui en hiver, il dit qu’on gèle ici, dit Jacques

-          En tout cas, pour être bad-locké, z’êtes bad-locké en sacrament, continua la voix

-          Vous n’avez vraiment pas de chance traduisit Jacques…

-          Qu’est-ce qu’il a avec ses « sacrament », celui-là, dit Juliette, tu peux pas parler comme tout le monde, vieux ouf, lui lança-elle

-          Petite insolente, dit la voix perchée là-haut dans sa niche. Si je veux parler ma langue, je la parlerai, foi de vieux hibou

-          Mais que fais-tu ici, si loin de ton pays ?

-          C’est mon  maître canadien qui m’a « oublié » dans c’maudit trou,  lors  de son  dernier séjour ici, il y a deux ans, ah  l’  écœurant !

-          C’est cruel, dit Juliette

-          C’est  foqué  pour vous, répondit le hibou !

-          Ne dis pas ça, rétorqua Jacques, tu vas nous aider

-          Tabernacle, ciboire, sûrement pas ! Est-ce qu’on m’a aidé, moi ?

-          Mais toi tu es dans ton élément, tu t’es trouvé une maison, des amis, peut-être ?

-          Des amis, des amis, ils parlent tous un jargon complètement débile, je n’ai pas aperçu ici la tête d’un choum  depuis des lustres !

-          Bon, t’en fais pas, fais comme nous, cherche la sortie, et tout s’arrangera

-          Adieu, dit Juliette qui commençait à bien s’amuser avec cet animal étrange et son accent inimitable !

 

                                                         ***

 

-          Je retournerais bien au Québec, dit Jacques, songeur tout à coup

-          Je sais pourquoi, dis-je, allez, avoue-le que tu étais tombé en amour là-bas !

-          C’est de l’histoire ancienne, dit Jacques, il y a prescription !

-          Prescription, prescription, faut dire vite, répliquai-je, il n’existe pas encore de lois françaises pour innocenter les souvenirs coupables…

-          Si je te dis que ce n’était qu’une petite aventure de rien du tout…

-          Mais qui a duré deux ans, tout de même !

-          Ne sois pas jalouse, je ne te connaissais pas encore à cette époque, m’amour !

-          Arrête de m’appeler m’amour, je t’ai déjà dit que ça m’agace !

-          Ne te fâche pas  Nicole, et ne parlons plus de cela devant la petite, ça pourrait la troubler…Allez, viens ma chérie, que je te fasse un gros bec….

Un gros bec, un gros bec, j’aurais plutôt envie à cet instant de lui coller une bonne paire de claques,  ça, c’est du bon français que tout le monde  peut comprendre, surtout celui qui la reçoit !

 

(à suivre)

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Commentaires
P
Oui, mine de rien, on voit du pays !
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M
De la grotte au Québec, nous voyageons en bonne compagnie.
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P
Ce qui est le plus drôle, c'est que je ne réfléchis jamais à la suite de l'histoire, ça me vient dès que j'écris la première phrase, bon,à un moment , il faudra trouver la chute ! j'ai trouvé mes petites phrases québécoises dans "les mots qui me font rire" , inédit de Jean-Loup Chiflet, un petit bijou. j'adore la collection Goût des mots.
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E
des vacances hautement instructives ! la petite Juliette va en tirer profit, quoiqu'elle semble déjà fort évoluée - ça c'est bien féminin de reprocher des anciennes amours ! délicieux les mots québecois
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