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Les jardins de Calude
3 août 2014

HÔTEL TRES PARTICULIER (chapitre 3)

III

 

Sinon ? Se risqua Juliette qui commençait à s’habituer à son environnement et à avoir moins peur de ces voix diaboliques et de ces pancartes loufoques. Sinon je vous pétrifie comme les touristes de la semaine dernière, vous n’avez pas vu, dans la grande salle des bains romains, ces rochers en forme d’êtres humains ? Si, dit Juliette, mais j’ai eu tellement les jetons que je me suis cachée dans le châle de ma mère.  Eh bien, ce sont des touristes hollandais qui se sont perdus comme vous jeudi dernier et qui ont refusé d’obtempérer et de rebrousser chemin, ainsi que je leur en avais donné l’ordre. Mince alors, dit Juliette, vous voulez nous transformer en vulgaires cailloux, vous n'avez pas honte ! C’est tout de même pas de ma faute si j’ai des parents incapables de s’orienter ! Dans ce cas, il ne fallait pas venir ici, personne ne vous y a obligés, ce me semble ! Allez, soyez sympa, négocia Juliette, donnez-nous un indice, qu’on se sorte de ce labyrinthe ! Et que me donneras-tu en échange ? J’ai trois carambars dans mon sac et un kinder-surprise, ça vous va ? Bon, ça passe pour cette fois, mais mets-toi bien dans la tête que ce n’est pas ça qui va satisfaire mon ÉNORME appétit. Tu prends à gauche, puis à droite et après, tu verras bien.

Jacques et moi nous étions assis sur une grosse pierre pour nous reposer un peu et en profiter pour boire quelques gorgées de l’eau que nous avions emportée pour la plage. Le sac commençait à peser lourd avec les serviettes, les crèmes solaires et surtout le siège pliant et le parasol. Nous étions ébahis de constater combien notre fillette prenait d’assurance et osait se confronter à ce monstre invisible certes, mais bien présent par la voix et les menaces qu’il proférait à notre encontre. Je n’en voulais nullement à Juliette de nous accuser et de mettre sur notre dos la responsabilité de nos erreurs de parcours, et je l’admirais d’avoir accepté de sacrifier pour nous ces friandises qu’elle aimait tant. Nous nous remîmes en route en suivant Juliette qui prenait son rôle de guide à cœur et repartit d’un cœur léger et plein d’entrain.

Le chemin devenait étroit, nous arrivâmes ensuite à un petit pont qui enjambait une rivière souterraine, où coulait un mince filet d’eau. Nous aperçûmes tout au fond quelques petits poissons très fins et sans couleur, qui paraissaient également privés d’yeux. Jacques, qui avait beaucoup voyagé dans sa jeunesse, se souvint d’avoir vu les mêmes dans une grotte mexicaine en 1984. Ces poissons cavernicoles sont aveugles, nous dit-il, et la perte de leur pigmentation est due en partie à l’obscurité, mais aussi  à une dérive génétique que les scientifiques ont très bien mise en évidence. Jacques aime faire son savant, il croit m’impressionner avec ses connaissances,  mais ça ne me fait ni chaud ni froid, je fais juste semblant de l’admirer.

Au bout du pont, un chemin partait à droite, et l’autre à gauche. Juliette prit celui de droite sans hésiter, suivant ainsi les consignes que lui avait indiqué la VOIX. Jacques et moi la suivîmes sans nous faire prier.  Le plafond paraissait à présent moins bas, nous avions atteint une salle spacieuse à la voûte haute et large, la roche avait changé d’aspect, la pierre paraissait constituée d'une matière  plus claire et brillait de mille petites paillettes d’argent. On dirait du mica, dit Jacques. De ce fait, on aurait presque pu nous croire à l’air libre ou imaginer voir s’infiltrer quelques rais de la lumière du jour, au travers d’imperceptibles interstices de rocher. Nous nous sentîmes plus à l’aise, moins prisonniers de nos instincts claustrophobes qui rendaient cet épisode souterrain si difficile à vivre.  Le chemin serpentait entre les roches, il nous fallut descendre quelques escaliers usés et mal ajustés, puis remonter une pente plus raide en enjambant quelques gros blocs éboulés de la voûte, nous semblait-il. Nous décidâmes de faire une nouvelle pause, avant de reprendre notre route.

C’est alors que des cris stridents se firent entendre au-dessus de nos têtes, c’était comme des sortes de pépiements aigus mêlés à des bruits d’ailes incessants, elles évoluaient là-haut, par dizaines, tout au-dessus de nos têtes, s’accrochant aux galeries des rochers, la tête en bas, et paraissant nous épier de leurs petits yeux malins. Juliette se précipita sur moi en hurlant. Elle n’avait jamais vu ce genre de bête moitié oiseau et moitié rat, avec ces ailes de monstres comme on en voyait parfois dans les films d’horreur…Ce sont des chauves-souris, dit Jacques pour la rassurer. Elles ne sont pas méchantes, elles viennent là pour dormir et pour hiberner. N’aie pas peur, elles ne te feront aucun mal… Les chauves-souris se nourrissent d’insectes, et pas de petites filles comme toi. Je pris bien garde de ne pas ajouter que parfois les chauves-souris  volent tellement bas qu’elles se prennent dans les cheveux des dames, surtout lorsqu’elles ont une chevelure aussi longue et fournie que celle de Juliette.

Bon, à présent, dit Juliette je n’ai plus d’autres indications que celles de la VOIX. A droite, à gauche ? Qu’en pensez-vous ? On n’en pensait rien du tout, et encore moins Jacques qui s ‘en remettait entièrement à moi et à Juliette. Il y a trois routes possibles, dit Juliette, celle qui est devant nous, celle qui tourne un peu plus loin à droite et encore celle à gauche qui a l’air de redescendre légèrement.  Que fait-t-on ? demanda Jacques, inquiet. Vous fermez les yeux, je tourne sur moi-même quelques instants, et au bout d’un moment, vous criez stop, d’accord ? Au point où on en était, cette proposition ne me parut pas plus stupide qu’une autre, nous obéîmes donc, sans se faire prier, à ses ordres.

-          Alors, jeune fille, on se croit dans le ballet des petits rats ?

-          Rat toi-même répondit Juliette, qui, la première peur passée, puisa en elle assez de self-control pour ne pas perdre tous ses moyens devant une chauve-souris énorme qui lui parlait, la tête en bas, ses gros pieds griffus agrippés à la rambarde et  qui était de surplus dotée d’une voix semblable à celle de  n’importe quel humain, mais en plus aigu. 

-          Je ne rencontre pas assez de demoiselles dans votre genre, fillette, comment vous appelez-vous ?

-          Juliette, et toi ?

-          Pipistrelle, mais on me surnomme  Pipis, merci de prononcer le S …

-          Ah Ah, quel drôle de nom pour une chauve-souris !

-          Que faites-vous ici ?

-          -On recherche la sortie, toi qui viens du dehors, pourrais-tu me l’indiquer ?

-          Oh ! Tu sais, je n’y prends pas garde, pour moi c’est instinctif, je dirais même que je viens ici les yeux fermés…

-          Eh bien, essaie de te rappeler, c’était à droite, à gauche, tout droit ?

-          Aucune idée, d’autant plus que vu ma position actuelle,  hi hi, je vois le monde  à l’envers, et pour distinguer ma gauche de ma droite, ben, il me faut tout inverser, ce n’est pas simple…En ce qui te concerne, par exemple, je vois d’abord tes pieds, puis tes jambes, puis ton corps et enfin ta tête !

-          Stupide animal, et mal élevé de surcroît, sais-tu qu’on doit s’adresser aux jeunes filles dans le bon sens et non la tête en bas ? Bien, je vois que je ne tirerai rien de bon de toi ? Et si je te faisais un cadeau ?

-           Un cadeau ?

-          J’ai deux BN et un choco-pocket dans mon sac, est-ce que ça te va ?

-          Tu es sotte ou quoi, tu ne sais pas que je me nourris exclusivement d’insectes ?

-          Tu ne veux pas goûter ? Juste une fois, tu verras, c’est bon, c’est même DÉLICIEUX !

-          Bon, puisque tu le dis, donne, pour voir !....Mais c’est dégoûtant ! Comment peut-on aimer de telles horreurs sucrées, tiens, reprends les  !

 

Juliette savait qu’on ne pourrait rien tirer de cet animal, elle prit donc congé de lui sans ménagements et se remit à tournoyer jusqu’à ce que Jacques ou moi  lui disions stop ! On irait à gauche, le sort en avait décidé ainsi, en espérant qu’il ne se trompe pas une fois encore.

 

(à suivre)

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Commentaires
E
ou le jeune lecteur avide de science trouve ici son content et rencontre axolotl et pipistrelle
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