Main dans la main
Elle contemplait sa main sans vraiment la
reconnaître, une main qui avait été jadis si fine, si douce, si
veloutée...
une menotte rose et potelée que sa
maman avait chérie et baisotée, l'âme au bord des lèvres, transportée,
chavirée...
une main si soignée dans ses années de jeunesse, entretenue, irréprochable,
manucurée, aux ongles toujours bien faits, aux vernis
chatoyants... une main que tant de gens avaient serrée, chaleureusement ou poliment, tant
d'amis admirée, tant d'amants caressée ou étreinte... une main que Félix avait demandée, solennellement à sa mère, le jour de ses
24 ans. Et sa maman qui en pleurant avait ajouté : prenez-là, sa main, et
tout le reste si vous voulez, mais promettez-moi d'en prendre bien
soin... Oui, il en avait pris soin, Félix, il avait tenu sa promesse jusqu'à l'aube
de ses soixante-dix ans, où un accident vasculaire l'avait paralysé à
jamais. A présent, c'était elle qui lui tenait la main, qui le conduisait à travers
les actes quotidiens de sa vie. C'était dur, parfois, mais toujours elle tenait
bon, en souvenir de tout l'amour qu'il lui avait donné. Puis ses forces avaient diminué, ses traits s'étaient durci, ses cheveux
avaient blanchi, ses mains s'étaient peu à peu déformées, sous l'effet du mal qui, jour et nuit, les rongeait. Leur peau, autrefois si blanche et
lisse se plissait et se tachait, c'était le signe que le temps sur tout doit
passer. Chaque jour, elle venait s'asseoir auprès de lui, lui donnant les
dernières nouvelles du quartier, ou se taisant tout simplement quand il dormait. Il avait bien baissé, Félix, ces derniers temps, elle se demandait souvent
s'il pourrait encore la reconnaître. C'est au retour qu'elle s'abandonnait, là, tout au secret
d'elle même, quand personne ne la voyait. Et puis un jour, ce fut la fin, Il était parti calmement, comme une petite
lumière qui s'essouffle. Il paraissait délivré, et souriait dans sa mort. Elle posa tendrement sa main sur la sienne déjà froide, et voulut un peu le réchauffer, mais à cause de ses larmes qui coulaient, elle ne la voyait plus, elle ne distinguait
plus rien, plus rien que les murs blancs de la pièce qui soudain s'écroulaient... Dans quelques jours, ce serait d'autres mains qu'elle allait devoir serrer.
Elle se demandait juste comment elle pourrait le supporter. cloclo