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Les jardins de Calude
26 août 2013

Papa n'est pas mort, il chasse les lions en Afrique (1)

couvertureroman

Tant que les lions n’auront pas d’histoire,

les histoires de chasse seront toujours à la gloire des chasseurs.

Proverbe africain

 

Ils ne sont pas morts, ils ne sont pas endormis,

ils se sont réveillés du rêve de la vie.

Percy Shelley

 

J’ai demandé à maman

 

il était parti et s’il allait revenir bientôt. Elle m’a répondu qu’il fallait être patient, et que si j’étais bien sage, eh bien, un jour peut-être il reviendrait. J’ai demandé : demain, alors ? Elle a répondu que c’était un peu tôt. Mais j’ai été bien sage, pourtant, tous ces jours-ci… Oui, mais il faut lui laisser le temps de rentrer, car il est parti très loin, tu sais… J’ai repris mon chat Octave sur les genoux et je l’ai serré très fort contre moi, comme le faisait papa avant avec moi. Il ronronnait tellement fort qu’il me cassait les oreilles, je l’ai reposé sur le lit et j’ai repris mon livre. A 9 ans, je commence à bien me débrouiller en lecture. Maman est fière de moi, elle dit que si je travaille correctement en classe, j’aurai plus tard une bonne situation. Je lui ai demandé ce que cela voulait dire, elle a répondu que j’aurais peut-être un bon métier et que je gagnerais même beaucoup d’argent. Moi, quand je serai grand, je voudrais être archéologue. Ca m’intéresse de savoir comment les gens vivaient avant. J’ai repris mon livre sur les dinosaures, à la page où je l’avais laissé. Ca fait peur de penser qu’il y en avait qui mesuraient 18 mètres de long et qui mangeaient 500 kg d’herbe par jour, c’est énorme, ils devaient avoir des estomacs gros comme des montagnes, il fallait aussi de grandes prairies pour les nourrir, il n’y en a plus maintenant, je crois qu’ils sont tous morts d’indigestion, tant mieux, car je n’aurais pas aimé me trouver nez à nez avec l’un d’entre eux. Ici, ils n’auraient pas de quoi se nourrir, il n’y a que des maisons tout autour, des petits jardins et le cimetière.

J’adore aller au cimetière, surtout quand il n’y a personne. Je connais presque toutes les tombes par cœur. Il y en a de très vieilles, même des tombes qui commencent par mille huit cent et des poussières… et des prénoms rigolos que je ne connais pas : Hortense, Onésime, Gracienne, Sigismond, Isidore…Sur les tombes, il y a écrit deux années avec un trait au milieu : maman a dit, c’est pour indiquer la date de naissance et de mort de chacun d’entre eux. La naissance, je connais, je sais que je suis né le 18 mai 2003 à 6 heures du matin, c’est maman qui a reçu une petite graine de papa et la graine a grandi jusqu’à me fabriquer tout entier. Quand papa était encore à la maison, il plantait aussi des petites graines dans le jardin. Il en sortait tantôt des fleurs, tantôt des légumes, des tomates, des carottes, des salades, mais jamais de petits enfants. Il a dû bien s’appliquer, papa, pour réussir à faire autre chose que des fruits et des légumes, si ça se trouve, j’aurais pu être un chou ou un potimarron, je l’ai échappé belle. J’aurais pu terminer ma vie en potée ou en soupe de légumes !

Ensuite, il y a la date de la mort, c’est quand les gens disparaissent brusquement et qu’on ne les voit plus revenir. C’est comme papa alors ? Oui, c’est un peu comme ça, a dit maman … Alors, il est mort ? Mais non, voyons, ton papa reviendra certainement, mais il faut patienter, allez, va jouer, ne m’importune plus avec tes questions. Maman n’aime pas que je lui parle de papa, on dirait que ça la fâche, et moi, je voudrais savoir où il est et si on connait son adresse, je pourrais lui écrire, il serait fier de moi et content de constater combien j’ai fait de progrès en classe. Mais je préfère ne plus en parler, je vois que ça la contrarie.

J’ai vu aussi au cimetière que parfois, il n’y avait qu’une date inscrite sur la tombe : la date de naissance, un tiret et puis plus rien. Comme s’ils étaient à moitié morts. J’ai demandé à Monsieur Baudoin, le gardien du cimetière, qui est notre voisin et qui sait tout. Il m’a répondu que c’était des gens qui prenaient leurs précautions et faisaient inscrire eux-mêmes leur nom et la date de leur naissance. Et après ? Après, quand ils mourront, ce sera leurs enfants qui feront graver la date de la mort. Pourquoi ils font ça ? Pour que leurs enfants n’aient pas à payer les frais de l’enterrement, tu comprends, gamin ? Alors, moi, je devrai faire pareil avec ma maman ? Pas forcément, elle ne décidera peut-être pas la même chose pour elle… Les morts, ils sont là-dessous ? Oui, ils sont dans des cercueils. Mais il doit faire tout noir ! Evidemment ! Mais qu’est-ce que ça peut faire, puisqu’ils sont morts ! Allons, minot, parle-moi d‘autre chose, tu as bien un truc plus drôle à me raconter !

J’ai pris mes jambes à mon cou et je suis reparti faire mon petit tour dans le cimetière. Monsieur Baudoin n’aime pas me voir me balader là, il dit que c’est malsain, et que ce ne sont pas des endroits pour les petits garçons comme moi. Moi, au contraire, je trouve cet endroit formidable ! Parce que toutes les tombes sont différentes : il y en a de toutes petites, toutes blanches, ou encore toutes vieilles, avec des fleurs décolorées par-dessus et une inscription, souvent la même : un ange repose ici. Je croyais que les anges vivaient au paradis, les grands sans doute, les petits n’ont pas eu la force de monter, peut-être même qu’ils ne savaient pas voler, alors, ils sont restés bêtement enfermés dans leur cercueil, les pauvres !

Il y a aussi des tombes avec une dalle en marbre, et de grandes croix souvent très rouillées, avec des statues de la vierge en pierre, ou de saintes accroupies qui pleurent, c’est très joli, il y a parfois dessus des reproductions en miniature d’objets qui ont appartenu à leur occupant, de grosses motos, des camions, ou d’autres trucs. Monsieur Baudoin m’a dit que le fils Perrin, qu’il a bien connu, était mort sur sa moto, à 38 ans, un peu comme Coluche et c’est pourquoi on avait mis une moto sur sa tombe, l’autre était chauffeur de poids lourd ou d’un gros cube ou quelque chose dans le genre. Sur certaines tombes, on voit aussi des violons ou des pianos. Est-ce qu’on peut mourir d’ un accident de violon ? Un piano, c’est lourd, si on le reçoit sur la tête, on peut en mourir, mais un violon ! Je me demande ce qu’on pourra mettre sur ma tombe, tiens, j’aimerais bien la statue de mon chat Octave, car après mes parents, et aussi ma mamie Colette , mon copain Lucas et Madame Billard, c’est lui que j’aime le plus au monde.

Il y a encore deux ou trois chapelles en pierre, avec des grilles en fer devant, pour qu’on ne puisse pas y entrer ; là, ce sont les riches, les bourgeois, et alors ça ne s’appelle plus des tombes, mais des caveaux. Il y a parfois cinq ou six ou même plus de gens enterrés au même endroit. C’est bien, comme ça, ils doivent moins s’ennuyer. Il y a encore des tombes avec des drapeaux français et c’est écrit sur une plaque : ci-gît Léon Mangin, mort pour la France. Je ne sais pas ce que veut dire ci-gît, mais je comprends que cet homme était un soldat et qu’il est mort à la guerre. Il y a sa photo en noir et blanc, c’est un jeune homme très élégant dans son uniforme, le cadre est un peu abîmé, mais il a une belle moustache et un sourire très doux. C’est sûr qu'au jour de la photo, il ne savait pas, le pauvre, qu’il allait bientôt mourir !

Il était l’heure de rentrer pour le souper, je me suis dépêché de regagner la maison.

Maman n’aime pas me voir traîner au cimetière, mais elle est tellement occupée avec son travail toute la journée que parfois elle oublie l’heure et c’est ainsi que je peux me promener tout à mon aise en son absence. Souvent, je vais chez Madame Billard la voisine et elle me garde jusqu’à ce que maman rentre. Mais même chez elle, j’arrive toujours à m’échapper et à rejoindre mon lieu de balade préféré. J’ai du mal à croire que la mort soit quelque chose de définitif, pourquoi, alors, serait-il écrit sur certaines tombes : ici repose Marcel Pichard, s’il se repose, c’est qu’il va sans doute se réveiller un jour et repartir au milieu des siens ! Peut-être que papa repose aussi quelque part en France ou ailleurs et que, quand il sera moins fatigué, il va se lever et revenir chez nous !

Madame Billard, qui fait aussi le ménage de temps en temps à l’église, m’a expliqué qu’un jour, dans très longtemps, quand tous les gens de la terre auront disparu, comme les dinosaures, il y aura un grand chambardement dans le ciel et ce jour-là tous les morts de tous les siècles passés, les hommes préhistoriques, les Égyptiens, les Japonais, les Indiens, les Papous et même les Roms et les sans-papiers, tous se réveilleront en même temps et alors on vivra une vie éternelle. Mais comment on va se comprendre, si on est tous mélangés et que l’on vit au même endroit ?

Madame Billard a répondu : nous aurons tous le même langage, et ce sera celui du cœur !

Je l’aime bien, Madame Billard, mais parfois, avec ses mots compliqués, elle me fait terriblement peur !

 

(à suivre)

 

 

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Commentaires
P
Ca me fait plaisir de le partager avec d'autres, espérons que tu prendras autant de plaisir que j'ai eu à l'écrire. merci de ta fidélité.
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M
Je me réjouis de suivre ton roman. Merci Cloclo de le partager avec nous.
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