LES DIX DOIGTS DE LA MAIN

"La main est trop raide et ne fait pas le bon angle avec le clavier, combien de fois faudra-t-il vous le répéter, mademoiselle, de la souplesse, de la souplesse, que diantre !! Chaque doigt de son voisin doit prendre son indépendance ! Pas de pactes illicites qui entraîneraient la chute du morceau et de votre réputation par la même occasion !

Vous avez une âme d’artiste, dites-vous, mais ayez-en d’abord la main, et le poignet, surtout, surtout le poignet, qui donne l’aisance et la grâce à toute interprétation ! S’il le faut, n’hésitez pas à déménager votre « âme », comme vous dites, dans cette partie du bras qui vous cause encore tant de problèmes. L’indépendance du pouce, je me tue à vous le répéter, est la première étape du progrès chez tout bon interprète et passe par la phase, rébarbative, j’en conviens, mais obligatoire pour tout prétendant à la célébrité.

Quand vous aurez réussi ce dur examen de passage qu’est le passage du pouce, en vous entraînant, comme je vous l’ai conseillé, quelques heures seulement par jour, vous pourrez enfin prétendre à rejoindre les élèves de la classe supérieure qui vous font tellement envie. Je sais, Czerny, Hanon et compagnie ne sont pas forcément vos amis, mais dites-vous que toute gloire se mérite et que vous réussirez uniquement si vous vous entraînez régulièrement, en renonçant définitivement aux plaisirs futiles de votre âge, je veux parler des sorties en boîte et des coquetteries inutiles telles que les ongles longs et manucurés à la française, qui sont peut-être une belle réussite esthétique, mais qui sont totalement bannis en classe de conservatoire !! Quand on veut être grand pianiste, il faut savoir faire des sacrifices et couper ses ongles à ras !

S’il vous plaît, redressez-vous sur votre siège, et réglez le au moins à votre hauteur, si ça continue,  votre tête sera plus basse que le clavier ! Vous ne vous rendez pas compte qu’il n’est pas centré, comment irez-vous atteindre les notes aigues ? J’ai l’impression de souffler dans un tuyau bouché, comment voulez-vous donner à votre instrument la maximum de sonorités si vous ne vous en donnez pas les moyens ? J’ai l’impression que vous avez trempé vos doigts dans de l’empois tant ils sont raides et malhabiles.

Reprenons au début, je sais, ces triolets ne sont pas faciles, mais ça fait vingt fois qu’on les répète, main gauche, l’attaque n’est pas assez précise, rappelez-vous ce que je vous ai dit, vos doigts sont comme dix oiseaux qui se posent en deux groupes sur deux fils différents et qui chantent harmonieusement leur partition,  en s ‘accordant et se synchronisant SI POSSIBLE avec leurs voisins  !! Apprenez à leur donner cette indépendance tout en gardant à l’esprit qu’ils marchent de pair. Si vous ne corrigez pas vos travers actuellement, eh bien, vous les conserverez toute votre vie et vous ne ferez plus aucun progrès !

La musique est un sacrifice perpétuel, mademoiselle, rappelez-vous ça et méditez ce que je viens de vous dire jusqu’à la semaine prochaine, j’espère que, d’ici là, vous aurez mis mes conseils en pratique et que je n’aurai plus de remarques à vous faire sur la position et l’assouplissement de vos mains. Quant au doigté, qui lui aussi laisse grandement à désirer, c’est une question que nous approfondirons plus en détail la semaine prochaine."

Bon courage en attendant et à bientôt  ! "

Comments

[Mony]

Que c'est dur cet apprentissage du piano ! Il faut espérer que la pédagogie de ce professur ne décourage pas l'apprentie.