rêve de gosse
Je fais souvent ce rêve récurrent et plutôt étonnant : je me promène avec un enfant, dont le visage m’est inconnu, mais que je traite avec la familiarité d’un membre de la famille. Un enfant étonnamment précoce pour son âge. Selon les jours, Il a entre trois mois et quelques années, mais souvent, même à trois mois, il sait marcher et aussi très bien parler. Tout le monde s’en étonne, sauf moi.
Parfois aussi, et d’une séquence à l’autre, il a grandi d’un coup : c’est toujours le même rêve mais ce n’est plus le même enfant.
C’est l’avantage du songe que de révéler simultanément toutes les facettes d’un même miroir.
On me félicite, on me complimente pour ce bel enfant qui a la chance d’avoir une si jolie grand’mère. Je réponds invariablement : mais je ne suis pas la grand’mère, je suis sa mère ! Dans ma tête, je suis sûre de dire la vérité, je ne comprends pas d’ailleurs que l’on puisse avoir le moindre doute à ce sujet.
Il joue ou dort comme un enfant joue, dort ; nous parlons, nous papotons ensemble, de tout et de rien. A mon réveil, c’est rare que je me souvienne de nos échanges, il me reste surtout, fortement imprégnées en moi des atmosphères, des ambiances, des sensations, et même aussi, allez savoir pourquoi, un certain vent de panique. Il y a sans doute quelque chose d’incongru, d’illogique dans tout ça, mais je ne saurais pas vraiment dire quoi.
Dans mon rêve, parfois, ses frère et sœur, âgés de trente et trente cinq ans nous rejoignent. Je suis surprise de l’entendre les appeler tantôt papa, tantôt maman selon les cas. Je sais que ce n’est pas possible : ma fille est stérile, malgré tous les traitements prodigués, elle ne peut pas avoir d’enfant. C’est le grand drame de sa vie.
Alors, moi, pour réparer cette injustice, je nous en fais un par procuration. Toutes les nuits, je nous offre un nouvel enfant.
Mais si je n’étais pas vraiment sa mère ?
Après les certitudes s’installent les doutes. La rébellion. Je crie pour mieux me persuader : mais puisque je vous dis que je suis sa mère !
Je me réveille en nage, le souffle court, les lèvres sèches, le cœur en chamade. Il me faut un long moment pour reprendre mes esprits et tâcher d’y voir un peu plus clair dans mes pensées.
D’un côté, je suis heureuse et fière d’enfanter chaque nuit un petit être neuf, à qui je donne mon soutien, mon attention, ma tendresse, de l’autre, il me vient comme des doutes, des inquiétudes, cette sensation bizarre de ne pas être à ma place, ou mieux, de prendre la place de quelqu’un d’autre, je ne saurais l’exprimer plus clairement.
A mon réveil, je m’interroge, pourquoi ce rêve à la fois doux et violent vient-il hanter régulièrement mes nuits au lieu de me procurer un repos réparateur comme celui auquel je devrais prétendre ?
La nuit dernière m’a porté le coup fatal. J’étais sur la table d’accouchement, le médecin a attrapé l’enfant, lui a donné deux claques et l’a mis dans mes bras en disant : quel beau bébé pour une mère aussi âgée !!
La colère m’a saisie, et j’ai rétorqué du tac au tac : « Mais Docteur, je suis bien trop jeune pour être vieille ! »
Ca lui a cloué le bec.
Et sur cette réplique, je me suis réveillée.
cloclo