L'atelier d'écriture

On s'active au plus haut point du côté de l'atelier d'écriture. Cette année, on a une nouvelle prof, c'est une ancienne de Normale sup, ça barde sec du côté orthographe et ponctuation. Elle nous rend nos textes de la dernière fois.

- Janine, je vous ai déjà dit cent fois que banderole s'écrit avec un seul l.  Et saccager, deux c, s'il vous plaît.

Ca l'agace, qu'on fasse des fautes.

- Bon, on va faire un petit exercice, vous me placez correctement tous les mots de la liste, ça s'appelle un logorallye. Non pas un logarythme, Jérôme, ça n'a rien à voir, ça c'est des maths, ici, on est en français.

- Paul, tu viens à une séance d'écriture sans feuille et sans stylo ? Ca commence bien ! J'espère que tu n'as pas l'intention de caresser la carrière des Lettres. Si ? Eh bien, avec de telles recrues, je sens qu'on court droit au désastre.

Je vous donne trente minutes, pas une de plus.

Je la dévisage en douce, elle a un côté burlesque, une dégaine impossible, des yeux de fouine, un nez en pointe de fleuret, un caleçon couleur lagune sous une robe à volants de couleur indéterminée, genre tube de gouache mal refermé, un ruban assorti dans les cheveux relevés en choucroute, ces derniers d'une nuance pisseuse, d'un blond tirant sur le brun ou brun tirant sur le roux, on ne sait pas trop.

Je sors un berlingot de ma poche et l'introduit discrètement dans ma bouche.

- Claude-France, vous n'avez pas d'inspiration, ou quoi ?

(Claude-France, c'est mon prénom complet, elle m'appelle comme ça par snobisme, je pense ! A moins que ça ne soit par patriotisme )

- Si, Madame, je réfléchis.

- Ne réfléchissez pas trop, le temps passe vite.

Je sèche, tout ceci n'est pour moi qu'une vaste mascarade, vouloir placer des mots dans un texte où ils n'ont rien à faire, c'est aussi incongru que d'introduire un chien dans un jeu de quilles. Ou un bouquets de tournesols dans une cellule  de condamné, un jour d'exécution !

Plus que 15 minutes.

Je pianote avec la pointe de mon stylo pour me donner une contenance, j'ai déjà dessiné trois arabesques à chaque coin de ma feuille,

Je m'apprête à dessiner la quatrième, quand une sirène retentit. Un car de police est en bas, l'un deux reste embusqué en sentinelle devant la porte, les trois autres montent quatre à quatre les escaliers et déboulent comme des fous dans notre salle, ceinturent et menottent notre prof, sans que celle-ci réagisse le moins du monde ni ne se  révolte un tant soit peu. La belle choucroute s'est écroulée, et la robe à volants est remontée jusqu'en haut des cuisses,  là ou s'arrêtent précisément les jolis bas résille couleur lagune.

Les pandores en profitent pour se rincer l'oeil.

- Vous croyez qu'elle est dangereuse, demande Anna, la doyenne, qui tremble de tous ses membres.

- Vous voyez bien que c'est une non-violente, répond Jean-Phi qui a la nostalgie de mai 68.

Je sens une pointe d'admiration percer dans sa voix.

- N'empêche qu'on n'aura jamais la correction, dit Lucette, professeur des écoles en retraite.

- Moi, j'adore ce genre de rebondissement dramatique, ajoute Linda, qui est inscrite au cours de théâtre, le lundi à 18 heures.

- On s 'en serait bien passés, répond Anna, qui tente de téléphoner à son mari pour lui apprendre la nouvelle. Mais l'ampleur de ses trémolos la contraint à renoncer.

- Moi, je ne la regretterai pas, dit Janine, elle focalise sur les fautes, sans occuper des idées, les idées, c'est tout de même ce qui gouverne le monde ! Est-ce qu'on relève les fautes d'orthographe, dans le langage parlé ? Et pourtant...

Je remballe mes affaires et repart chez moi incognito. Ouf, j'ai échappé aux foudres de notre singulière enseignante,  et à ses mots imposés. Ca n'a pas l'air de convenir à tout le monde,  mais ça nous arrange bien,   Paul et moi, car  nous n'avions pas encore écrit le moindre mot.

cloclo