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Les jardins de Calude
9 janvier 2010

COCO

coco

Dans une cage suspendue à côté de la porte, un perroquet vert et jaune n'arrêtait pas de répéter :

- Allez-vous-en ! Allez-vous-en ! Sapristi !

 Il parlait un peu l'espagnol, et aussi une langue que personne ne comprenait.

Il avait horreur des visiteurs, ce pauvre Coco,  qui avait trop souffert jusqu'ici des visites continuelles chez son ardente et  lascive maîtresse. C'était une procession quasi ininterrompue  de beaux messieurs endimanchés, boursouflés, rougeauds et enchapeautés qui défilaient nuit et jour chez elle et  qui ne manquaient jamais une occasion, à chacune de leur visite, de lui décocher un de ces lazzis dont ils avaient le secret :

- Alors, coco, t'as bouffé ta langue aujourd'hui ? disait notre homme, en soulevant , goguenard, son joli chapeau claque

- Sacrado matonos  de mes dos... , rétorquait Coco, dans son langage bien à lui.

L'autre, ne saisissant pas l'allusion, se remettait en route tout en réajustant poliment son chapeau.

La belle enfarinée, le peignoir entrouvert, l'attendait sur le pas de la porte. Quatre ou cinq couches de brush, fard à joue insolent, rimmel charbon sur implants de cils immenses savamment recourbés mais ayant largement débordé et rouge baiser à l'appui, elle ouvrait un four à y faire rentrer dix langues et le vieux s'y engouffrait  comme s'il se fût agi d'une cave  un jour d' alerte générale.

La dame refermait doucement la porte, non s'en avoir jeté à Coco un regard noir : tu vas tout faire foirer, espèce de sale bête , avec tes insultes !

- Santa Maria del la prostitutionne... criait Coco en se signant.

La dame savait que dans ces cas-là, il ne fallait pas insister, car Coco avait par devers lui tout un vocabulaire que lui auraient envié les 40 membres de l'académie de la Calo (la langue verte du coin)

Son  chulo  l'attendait déjà dans la tenue des rugbymen un jour de calendrier, mais avec en prime les creux et les pleins, les bourrelets, les cascades de chair débordantes qu'elle détaillait avec amour.

- Mon cochon, mais t'as pris combien de kilos depuis la dernière fois ?

L'amant tentait de dissimuler son excès d'abondance derrière une serviette mitée, mais on apercevait encore des morceaux de chair rose  à travers les troux béants du vieux textile râpé, rescapé  des soldes mémorables de 83. Il se précipita donc du mieux qu'il le put jusqu'au lit salvateur en remontant la couette jusqu'à son double menton.

- J'arrive, chéri, criait la belle enamourée

- Arriba, arriba, hurlait Coco, qui ne perdait pas une miette de la scène, bien qu'il n'en perçoive que les sons...

C'était sa façon à lui de les encourager dans un exercice qui tenait davantage du pur exploit contorsionniste  que de l'acte d'amour proprement dit.

Lorsque les tourtereaux en étaient arrivés au moment paroxystique et hurlaient des onomatopées que l'on ne trouve nulle part, même pas dans les meilleurs manuels d'éducation sexuelle, Coco s'agitait à tout rompre dans sa cage et tentait de les imiter en poussant de grands cris, ce qui ne manquait pas d'attirer les passants, qui le croyaient pris de folie et le traitaient de Coco loco.

- Vaya, vaya, anda, anda, allez-vous en, criait Coco hors de ses gonds.

Mais rien n'y faisait, il fallait attendre que nos deux partenaires eussent calmé leurs appétits respectifs et quelques minutes après, l'amant ressortait plus rouge que jamais, le frac à moitié reboutonné et Coco partait alors d'un rire démesuré, comme on en entend rarement chez les perroquets du Gabon.

- Fuera, rufian, petassa, paëlla, zarzuela, churros,  gaspacho, gambas a la plancha... Especie de prodidos tapas, gordo carmesi  tomate...ajouta-t-il encore en guise d'adieu.

Mais notre homme n'y prit garde, il avait l'habitude, et d'ailleurs, et fort heureusement pour lui, il n'entendait ni ne parlait  l'espagnol.

 

© cloclo, 8 janvier 2010

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