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Les jardins de Calude
1 janvier 2016

SOLITUDE

solitude

 

Le silence n'est pas une couleuvre que le moindre bruit fait fuir,
c'est un aigle aux fortes ailes qui surplombe le brouhaha de la terre,
des hommes et du vent.

 

« Sois ton propre ami et tu ne seras plus seul »

 

Balivernes. Quand on a connu autre chose, on ne peut pas aimer la solitude. La solitude comme un faucon précis me tuera plus sûrement que la mort. Elle perce, transperce et détruit, elle frappe à un endroit du corps que tous ceux qui l’ont subie localisent aisément. C’est quelque part autour du cœur, la pointe d’un glaive aiguisé qui vous transperce et vous ronge et vous détruit lentement. Tout  aussitôt ou plutôt conjointement une sensation bizarre vous envahit, votre gorge se noue, une espèce de double nœud vous enserre, vous étrangle, vous étreint. Le corps et l’esprit se vident lentement, méthodiquement, sans qu’on n’y puisse rien faire. Les yeux se mouillent, on voudrait bien pleurer, pleurer toutes ces larmes retenues depuis tant de jours, depuis tant de mois, depuis tant d’années, mais le Grand Vide vous l’interdit, il étend sur vous ses tentacules, il prend toute la place, il envahit, il décide pour vous. C’est lui le maître. Toujours, toujours.

 Je suis seule, les yeux fermés, une seconde, une minute, une éternité. Solitude lunaire, culpabilité exécrable. Il n’y a que les gens bien entourés qui puissent vanter la solitude et chanter le bonheur d’être seuls. La solitude est terrible, parce qu’elle vous dirige progressivement et invariablement vers le concept de  mort, et aux angoisses qui lui sont rattachées. Elle nous rappelle que pour exister, nous avons besoin des autres, de leur présence, de leur voix, de leurs conseils et même de leurs silences. Unir son silence à un autre silence, son sommeil à un autre sommeil, ce n’est pas ajouter du silence, c’est renforcer une présence, c’est remplir le vide de ses nuits par un double sommeil…

Je me suis assise à ma table en silence, devant  une assiette vide et un verre vide. Je n’avais pas faim, le temps semblait s’étirer comme une longue plage désertée, sans soleil, sans coquillages et sans baigneurs et il me semblait que demain n’arriverait jamais. Devant mes yeux défilaient des images de foules, d’enfants joyeux, d’orchestres débridés, de troupeaux de chevaux en folie galopant dans la verte prairie. Je n’avais plus peur des décors de carton-pâte ni des idées toutes faites. Le ciel était noir, sans la moindre étoile, seul un lampadaire au loin clignotait sa vague lumière.

Solitude, récif, étoile, à n’importe ce qui valut Le blanc souci de notre toile… Ces vers de Mallarmé résonnaient en moi comme le dernier recours, j’avais oublié la suite, alors il m‘en venait d’autres.  J’étais assoupie de sommeils touffus, mes rêves étaient peuplés de nymphes et de faunes déjantés, je me souvenais de quelques précisions du poète : J'y essayais de mettre, à côté de l'alexandrin dans toute sa tenue, une sorte de feu courant pianoté autour, comme qui dirait d'un accompagnement musical fait par le poète lui-même.  

Le vent gémit. Le soir vient. L’heure sonne. Mon cœur impatient s’émeut. Rien ni personne.*

Silence.

La poussière du jour et la cendre de l’heure, contiennent nos soupirs, nos vœux et nos chansons.*

Silence.

J’attends.

La musique des vers de Mallarmé, puis de Lozeau* le canadien s’incruste dans mes oreilles, me pénètrent dans l’âme, et c’est soudain un concert ininterrompu d’instruments en folie qui parvient à mes oreilles : les notes et les mots se déchaînent, s’entrecroisent, s’entremêlent, se télescopent, interrompant brutalement le silence mortel de la nuit. Et puis progressivement se calment et s’apaisent pour égrener dans un murmure la plus gracieuse des mélodies.

Et moi, ragaillardie par autant d’harmonie, par autant de mes frères poètes autrefois reliés par ce triste fléau, et soudés à présent du sceau de leur salut, de MON salut…

 Et moi, soudain je m’aperçois avec bonheur, débarrassée du lourd manteau de mes anciennes peurs,  que je ne suis plus vraiment seule.   

ET que pour cette fois encore, je suis  provisoirement sauvée.

 

Cloclo,  31 décembre 2015

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Commentaires
P
Quand elle est choisie, ah oui, elle est salvatrice, et moi, j'adore ces moments de solitude où je peux me retrouver seule face à moi-même, à méditer, réfléchir, ce sont de purs moments de bonheur. La solitude néfaste, c'est la solitude imposée et permanente, ce n'est pas mon cas. je ne la ressens qu'en des moments stratégiques de l'année...
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E
notre copine Ginette a trouvé la solution à la solitude (lien dans adresse)<br /> <br /> la solitude ça n'existe pas, tu te rappelles ?...la solitude est régénératrice quand elle est choisie, et par périodes, c’est l'immensité de la solitude quand on ne voit plus d' horizon qui la rend aussi terrifiante - tellement ont disparu, que nous aimions, corps et biens, ou tête d'abord, il ne nous ont pas abandonnés volontairement. Mais la solitude est toujours la finale, réécoute la chanson de Brel
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P
Oui, c'est une bonne thérapie, ça commence avec un peu de vague à l'âme , puis on se laisse emporter par la magie de l'écriture et le rappel de quelques poètes de la solitude pour finir dans l'espérance et la joie. C'est là où l'on prend la véritable mesure des mots. A la fin, je me suis sentie beaucoup mieux. Bonne année à toi aussi et à tous ceux qui te sont chers...
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M
Quel beau texte, Cloclo ! <br /> <br /> Cette communion dans la solitude est émouvante, merci.<br /> <br /> je te souhaite une belle année 2016,<br /> <br /> Mony
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