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Les jardins de Calude
12 mai 2014

Drôle d'escalier !

escalier-lettresMCM

 

ELLE EST  assise sur la huitième marche, pensive, absorbée  par des images qui lui reviennent comme en un flash, imprécises, lumineuses, fugitives.  A tout moment, elle croit qu’elle va pouvoir les retenir, les saisir à pleines mains, les emprisonner dans une mémoire déformée, affaiblie par le temps. Comment reconnaître sa maison d’autrefois, quand tout a été repeint, rafraîchi, rebouché, calfeutré, isolé, reblanchi, siliconé ?

Drôle d’escalier affublé de messages inconnus, de mots isolés, de phrases écourtées. Comment reconstituer le puzzle ? DU BONHEUR sur la septième, elle s’en souvient, c’était celle de Marie et elle, quand elles se faisaient leurs petites confidences. Premier amour, premier baiser, premiers frissons,  coeur qui s ‘emballe, effleurement de mains, elles n’avaient pas de secrets l’une pour l’autre.  Parfois même, elles se partageaient le même « homme », c’était comme ça, elles n’y pouvaient rien, elles attendraient que lui-même se décide et opte pour l’une ou l’autre. La perdante n’en ferait pas une maladie, on passerait ensuite à autre chose dans le calme et la sérénité les plus parfaits…

Ne me DEMANDE PAS de t’expliquer la sixième. C’était celle de Jacques, le petit dernier. On s’aimait bien, c’est sûr, mais c’était un rapide, un casseur, un suractif. C’est sur cette marche qu’il a failli me crever un œil avec sa flèche plantée juste au bord des paupières. Ah ! Ce que j’ai eu peur. Et ma mère qui n’entendait pas mes cris, affairée qu’elle était dans son atelier, tout au bout de la maison ! Et moi qui me tenais l’œil en hurlant et en sanglotant. Et mon frère, tétanisé par mes cris, qui restait planté là, sans bouger,tel une statue, ce qui ne s’était jamais vu depuis sa naissance…

ELLE NE sait plus très  bien ce que fut la cinquième. Elle pense tout de même que c’est sur celle-ci que mamie Jeanne a dérapé un jour et a bien failli se casser le col du fémur, d’après un récent sondage,. 20% des accidents domestiques sont dus à des chutes dans l’escalier. C’est pourquoi, dès qu’elle a quitté la maison, elle a toujours habité dans un appartement de plain-pied, ou avec ascenseur, et elle s’en félicite.

DANS L’INSTANT présent, sur la quatrième, elle repense à sa vie en famille, sa mère artiste-peintre, le père absent une grande partie de la semaine, puis absent définitivement le jour où il a quitté sa mère. Où ils les a tous lâchement abandonnés. Ca y est, ça lui revient,  c’est sur cette marche qu’elle a appris la nouvelle, elle lisait un livre de la bibliothèque rose, le nom lui échappe, c’était captivant, elle a cru mal entendre, ce ne pouvait être la vérité, l’histoire se passait dans son livre, et pas ailleurs, son père ne pouvait pas leur faire ça, c’est trop moche, c’est injuste, c’est cruel, un père qui fait ça. Je le déteste, je vous déteste tous !! Elle se souvient d’avoir pleuré encore plus fort que dans le jeu de son indien de frère.

SON PARADIS, c’était son rêve, ses histoires qu’elle se racontait tout bas. C’était encore mieux que dans les livres parce qu’elle se faisait ses fins à elle, toujours heureuses, toujours jolies. Les animaux ne se dévoraient plus entre eux, on n’abandonnait plus les enfants dans la forêt, il n’y a avait pas de loups, dans ses histoires,  il n’y avait que des agneaux qu’on allaitait au biberon, de gentils moineaux au chant joyeux qu’on nourrissait en hiver, et on ne mangeait pas le lapin domestique qu’on avait élevé avec tant d’amour… Il n’y avait plus non plus de méchantes sorcières, elles étaient douces, avenantes et écoutaient ses confidences avec la plus grande patience. Et pas de vilains garnements prêts à vous planter des flèches en plein cœur…Il n’y avait surtout que des pères aimants et attachés définitivement  à leur famille.

TROUVE la clé qui t’ouvrira la porte de ces mystères du passé, qui fera de toi soit un surdoué, un être équilibré, un adulte « bien dans sa tête », soit un rebut de la société, un révolté, un déprimé, un raté, selon ta capacité à surmonter les épreuves, à vouloir à tout prix t’en sortir. A la seconde marche, son cœur se gonfle dans sa poitrine, le poids du souvenir l’oppresse, l’envahit, la submerge. Puis elle songe à sa vie, sa vie d’après, d’après le drame. Alors elle sent comme un espoir, comme un élan de joie et de confiance, certaine d’avoir  vaincu ses peurs, ses souffrances, ses rancoeurs, ses frustrations anciennes.

L’ENFANCE, on la gravit marche par marche, palier par palier. La voici à l’entrée de la demeure. Il ne lui reste que quelques pas à faire pour sortir de la maison des souvenirs. Les tableaux sont toujours là, accrochés au mur, comme un rappel des journées heureuses où elle regardait maman peindre et s’extasiait de son talent. Elle n’en avait pas hérité, hélas, mais c’est dans la musique qu’elle s’était épanouie plus tard. Et petit Jacques avait grandi, il s’était assagi, il ne lui avait plus jamais planté de flèche, ni dans l’œil, ni ailleurs.

Quant à la blessure paternelle, elle avait mis beaucoup plus de temps à se refermer. Mais ça, c’était la vie !

 

Cloclo, 12/05/2014

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Commentaires
P
Oui, plus ou moins long et plus ou moins pénible, heureusement pour nous, il existe des paliers pour souffler ! Bises. cloclo
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M
L'escalier de la vie ?
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