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Les jardins de Calude
30 octobre 2013

Papa n'est pas mort (10 et 11)

 

A la récré de 10 heures, j’ai cherché

 

Lucas pour lui raconter mes observations de l’autre soir. Et ma déception de ne pas avoir vu de feux-follets. T’en fais pas qu’il a dit, ce n’est pas du premier coup qu’on peut voir un tel phénomène, ou alors tu aurais un sacré bol ! T’en as déjà vu, toi ? Moi, non, mais Benjamin, oui, on va lui demander ! Benjamin, viens voir ! Y a Théo qui aimerait que lui parles des feux-follets. Ben oui, quoi, y a pas de quoi en faire un fromage, c’était un soir d’hiver, avec ma grand-mère, on passait vers le cimetière et tout à coup , on a vu une lueur bleuâtre apparaître devant nous, ça a duré quelques secondes et psitt, ça a disparu. Bof, ça n’est pas très impressionnant ! Marion, qui venait d’arriver, a dit : ça devait être moins chouette que dans Rebelle, vous l’avez vu, au moins ? Non, ai-je répondu. Eh bien tu as tort. Ca raconte quoi ? Ca se passe en Ecosse avec la belle princesse rousse Merida qui tire à l’arc et chevauche son grand cheval blanc dans la forêt où vivent plein de feux-follets…Ils sont comment ? Ce sont comme des phares bleus avec des espèces de petits filaments tout autour, qui se déplacent très lentement, un peu comme des méduses, en plus, ils parlent, enfin ils chuchotent comme le vent à travers les feuilles. C’est très joli. Ca doit être gnangnan, a dit Lucas, ces histoires de princesses, c’est pour les filles, pas pour des gros durs comme nous. Pas du tout, a protesté Marion, c’est une princesse moderne, qui préfère le sport et le tir à l’arc à un riche mari ou à une belle robe en dentelle… Benjamin, qui avait vu le film a dit que ces feux-follets-là n’ont rien à voir avec la réalité. C’est simplement des effets spéciaux et des trucages de cinéma.

Tout à coup, j’ai aperçu Arnaud qui se dirigeait vers notre groupe ; quand il est arrivé à ma hauteur, il a claironné, en me regardant : ah, mais, le voilà, notre presse-purée ! T’as retrouvé ta princesse, minus ? Mêle toi de tes oignons, on ne t’a pas sonné, ai-je répondu. Ah ! Mais Monsieur fait son fanfaron devant les meufs, t’étais quand même moins fier l’autre jour à la cantine ! J’ai bien cru que t’allais chier dans ton froc ! Je vais te casser la gueule, si tu continues, ai-je lancé. Les autres, sauf Lucas, s’étaient tous carapatés. Eh bien, essaie, mon pote, on va voir qui va gagner, avec tes bras en yaourt et ton pois chiche dans la tête, tu ne risques pas de m’impressionner. J’ai regardé Lucas pour y chercher un appui ou un semblant d’encouragement. Lucas a dit : allez les gars, le jeu n’en vaut pas la chandelle ! Arnaud, tu ne vas tout de même pas t’attaquer à un plus faible que toi ! Mais c’est bien lui qui m’a provoqué, non, j’ai le droit de me venger. Non, là, c’est toi, qui viens de le faire, alors vous êtes quitte ! Si tu crois que j’ai peur de ce petit avorton et de cette graine d’ orphelin, qui passe son temps dans les cimetières pour y chercher son père, qu’il a lancé, Arnaud, alors, là, tu te fourres le doigt dans l’œil jusqu’au nombril, ben, faut être marteau pour avoir de tels comportements ! Quand j’ai entendu ça, j’ai pas pu encaisser, je me suis jeté sur lui en rassemblant toutes mes forces et j’ai cogné, cogné, cogné, jusqu’à épuisement. Après, je ne sais plus ce qui s’est passé, j’ai tout oublié, je me suis retrouvé à l’infirmerie avec des bandages sur la tête et ma tête qui allait éclater avec son vacarme à l’intérieur et ses milliers de bourdonnements dans les oreilles. Quand j’ai repris un peu mes esprits, j’ai pensé à ma mère, et au souci que j’allais lui donner une nouvelle fois. L’infirmière a dit qu’on allait me garder jusqu’à ce que maman vienne me rechercher à l’école. Madame Pernod est venue me voir et m’a fait comprendre que je risquais une mise à pied de quelques jours, ou pire, un renvoi pur et simple. Ce qui était dommage pour un bon petit élève comme moi, qui d’habitude ne posait pas trop de problèmes. Elle s’est assise sur le rebord du lit et a demandé gentiment : c’est le départ de ton papa qui te chagrine ? Je n’ai pas répondu. Allez, dis-moi, je vois que tu as quelque chose sur le cœur depuis le début de l’année, tu n’es pas aussi joyeux que tes camarades et je te vois souvent à l’écart dans la cour. Et puis, est-ce que c’est vrai, cette histoire de cimetières ? Il paraît que tu y passes le plus clair de ton temps. Bon, tu ne veux rien dire, on en reparlera plus tard. Elle m’a embrassé gentiment sur un rare coin de joue sans pansements et elle est repartie sans faire de bruit.

 

A quatre heures, maman est venue me chercher, elle n’avait pas l’air contente, mais ne m’a pas fait de remarques sur le moment ; elle a dit qu’il fallait faire venir le docteur Michon pour voir s’il n’y avait pas de traumatismes trop graves et si je ne risquais pas une hémorragie interne. Ce mot m’a fait très peur, c’est de ça qu’est mort papy l’année dernière, mais lui était très vieux, alors, peut-être que moi, vu ma jeunesse, je vais pouvoir m’en sortir. Le docteur Michon a indiqué que mes blessures étaient superficielles, un bon repos d’une semaine me serait nécessaire, et qu’après il faudrait que je me calme un peu. Maman a dit qu’elle n’y comprenait rien, que j’étais un petit garçon d’ordinaire très doux et aimant, qu’elle n’avait rien à me reprocher, sinon quelques bêtises sans gravité. Et aussi peut-être mon attirance pour les cimetières. Après, ils ont quitté la chambre et sont partis discuter ailleurs. J’ai entendu la porte se refermer un bon moment plus tard. Maman est remontée dans ma chambre et m’a apporté un bol de chocolat. Elle a dit que ça allait me faire du bien. Elle m’a annoncé que mamie viendrait s’occuper de moi de temps en temps et que le reste de la semaine, ce serait Madame Billard qui viendrait. Tu vois les soucis que tu me donnes, a-t-elle ajouté, c’est déjà pas facile de gérer une maison quand on est seule et voilà que tu me compliques l’existence ! Mais, maman, il m’a traité de presse - purée et d’orphelin ! Mais orphelin n’est pas un gros mot, mon chéri, presse - purée non plus, d’ailleurs, a-t-elle ajouté en souriant…J’ai hoqueté : mais, mais, je ne suis pas un orphelin, moi ! Papa n’est pas mort, papa n’est pas mort, il…il…Il ? a répété maman. Non, rien, il n’est pas mort, c’est tout ce que je voulais dire ! Un jour, il faudra qu’on ait une vraie conversation à ce sujet, a -t-elle dit en tentant de me calmer. Remets-toi bien déjà, après, on discutera un peu, tous les deux…Tiens, avale ces cachets, ainsi tu passeras une meilleure nuit. J’étais tellement épuisé par cette journée et par les douleurs que je sentais un peu partout sur mon corps que je me suis affalé comme une masse et sans prendre même le temps de dîner, je me suis endormi d’un bloc. J’ai juste eu le temps d’entrevoir Octave qui profitait de l’occasion pour s’installer sur mon lit avec un peu d’avance et a sauté d’un bond pour aller se lover dans le creux le plus douillet et le plus chaud de ma couette.

 

J’ai dormi ainsi sans interruption et sans faire aucun rêve jusqu’au lendemain matin à dix heures.

 

 

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Quand je me suis réveillé,

 

 

j’ai vu Madame Billard dans un fauteuil non loin de moi. Elle tricotait tranquillement, avec Octave sur les genoux qui faisait son pacha. Je ne pouvais pas faire un geste tant ça me faisait mal de partout. En revanche, ma tête allait mieux, je n’avais plus mes bourdonnements de la veille, je la sentais juste un peu lourde, tout de même, comme après un grand choc. Ben te voilà réveillé, mon gamin, qu’elle a dit, sapristi, t’en as piqué un de ces roupillons, j’ai cru que tu ne te réveillerais jamais ! Ah ! Il ne t’a pas loupé, ton copain ! Mon copain, c’est pas mon copain, que j’ai dit, c’est mon ennemi juré et il n’a pas intérêt à se pointer sur ma route ! Mais, d’après ta maman, c’est toi qui as commencé ! Il m’a traité d’avorton et de presse-purée, je ne vais tout de même pas me laisser insulter ainsi. Bof, c’est pas si grave, non ? C’est pas grave ? Et quand il m’a traité d’orphelin, c’est pas une injure, ça ? Non, c’est juste un mensonge, enfin je crois, et même si c’était la vérité, ce ne serait pas mortel non plus ! Vous n’allez tout de même pas le défendre, ça fait quinze jours qu’il me cherche, il m’en veut, parce que Marion me préfère à lui, j’ai bien vu, déjà à la cantine, l’autre jour…

J’ai voulu me redresser sur mon lit, mais j’ai crié aïe, tant mon dos me lançait. Madame Billard a remonté mes oreillers et m’a tiré tout doucement par les épaules pour me redresser. Octave en a profité pour réintégrer sa place. Ne t’énerve pas ainsi, qu’elle a dit, c’est mauvais pour ta santé et cela va retarder ta guérison. Je ne m’énerve pas, je dis ce que je pense, contrairement à tous ces adultes qui mentent à longueur de journée ! Moi, je mens ? a-t-elle demandé, surprise. Non, mais maman et mamie et bien d’autres adultes mentent, je le sais. Qu’est-ce qui te fait croire ça ? Ils mentent sur l’absence de mon père, ils savent des choses que je ne sais pas et moi je veux connaître la vérité. Ils croient nous protéger, nous les enfants, en nous cachant des tas de choses, et au lieu de nous faire du bien, ils nous font du mal. J’ai demandé sans transition : c’est grave, quand on prend de la drogue ? Tu sautes du coq à l’âne, mon garçon, bien sûr que c’est grave, et c’est encore plus grave d’en faire le trafic et le commerce. On peut aller en prison pour ça ? Bien sûr, et parfois à perpétuité. Ca veut dire ? Ca veut dire qu’on pourrait ne jamais en ressortir. Jusqu’à sa mort, on reste en prison ? Jusqu’à sa mort a dit gravement Madame Billard. Alors, si mon papa allait en prison, ce serait un peu comme s’il était mort ! Sauf que tu aurais peut-être le droit d’aller le voir de temps en temps, c’est toujours ça. Et aussi de le serrer dans mes bras ? Oui, s’il n’y a pas d’obstacle entre vous, parfois, on peut se parler uniquement à travers une vitre ou un grillage ! Mais arrête de gamberger ainsi, je crois que ton coup sur la tête ne t’a pas du tout réussi. Tu as une imagination, mon coco, à faire pâlir tous les scénaristes et tous les écrivains de la terre. Bon, allez, mange tes tartines, et après, si tu n’es pas trop fatigué, tu pourras prendre un livre. Elle m’a servi mon petit-déjeuner avec du pain et de la confiture de mûres qu’elle avait faite elle-même.

C’est bon, Pauline, que j’ai dit. J’ai dit Pauline comme ça, sans réfléchir, ça m’a échappé. Je peux vous appeler Pauline ? Mais bien sûr, et tu peux même me tutoyer, qu’elle a dit, Madame Billard. Tu sais, tu pourrais être mon petit-fils, et même mon arrière-petit-fils. Mes petits-enfants sont loin, et ne viennent pas souvent ici, alors toi, tu peux les remplacer, toi, je te connais depuis ta naissance ! Quand tu es né, tu étais grand comme ça ! En disant ça, elle a joint le geste à la parole et elle a mis ses mains à l’horizontale de chaque côté du chat (sans la queue), puis elle les a retirées, ça ne faisait vraiment pas beaucoup. Et tu devais peser aussi son poids, et même moins, vu qu’il est bien gras ! On a ri comme des petits fous tous les deux. Ca m’a fait du bien. Ensuite, elle est retournée chez elle pour aller faire la cuisine. Si quelque chose ne va pas, tu me téléphones, a-t-elle dit. A tout à l’heure, gamin ! A tout à l’heure, Pauline.

 

En réfléchissant bien, grâce à l’absence de mon père, et aussi à ma bagarre avec Arnaud la veille, ma famille venait soudainement de s’agrandir de deux membres. D’abord, Il y avait Daniel, qui avait si gentiment accepté l’autre jour de devenir mon frère, et maintenant, je retrouvais une grand-mère. Bon, j’avais déjà mamie Colette, mais ça ne faisait pas double emploi, elle, elle était plus loin, plus jeune, et encore bien occupée, tandis que Pauline était plus disponible, plus présente, et je m’entendais tellement bien avec elle. J’avais l’impression qu’elle me comprenait avant même que j’ouvre la bouche. Et c’était à elle que je confiais en priorité mes petits secrets. Et puis, il y avait le cimetière, et Jules, et Antoine et Germaine et les autres, mes bons morts et les bons morts de Pauline, tout ce petit monde souterrain qui vivait en nous et pour nous et ne cessait de nous soutenir, nous encourager, nous redonner le moral. Les morts ne sont pas tristes, ils sont joyeux, a dit Pauline, maintenant qu’ils sont libérés de toutes les contraintes terrestres et matérielles, ils peuvent penser à leur âme et uniquement à leur âme et à celle des vivants ! Leur esprit, c’est comme des papillons légers qui volent autour de nous et nous entourent, chaque mort, chaque disparu nous fait un petit signe à sa manière, il suffit de faire très attention pour pouvoir les percevoir ou même les entendre. Mais nous, on est des privilégiés, ai-je ajouté, en plus à moi, tous les morts parlent, même ceux que je ne connais pas, les vieux, les jeunes et même les enfants.

Toi, tu as un pouvoir supplémentaire, a dit Pauline, tu as le pouvoir de la jeunesse, celui qui te confère tous les droits et t’ouvre toutes les portes en grand, y compris celle des morts et des absents.

J’ai encore demandé : Pauline, est-ce que tu sais combien de temps ça dure l’éternité ? Quelle curieuse question, l’éternité, ç’est en dehors du temps, ça ne se mesure pas ! Alors, pourquoi la femme d’Antoine elle a écrit sur sa tombe, à mon mari, pour l’éternité ? On n’est pas éternels, à ce que je sache ! Non, nous sommes juste de simples mortels, mais il y a peut-être sur terre des éternités qui durent moins longtemps que d’autres, a-t-elle répondu en souriant. Pourquoi tu ris, Pauline ? Je me comprends, a-t-elle simplement ajouté ! Tu te poses trop de questions, mon gamin, ton cerveau va exploser. Comme ce gros Monsieur Gadin, ai-je pensé en moi-même, car je n’avais pas osé raconter mon rêve à Pauline.

 

-       Bon, c’est pas le tout, mais il est temps d’aller faire la tambouille, a dit Pauline en se levant.

 

A midi trente elle est revenue avec le repas, elle l’avait mis sur un beau plateau d’argent ciselé, qui paraissait très ancien, c’est celui de ma mère, je l’ai gardé en souvenir, m’a-t-elle dit. J’ai mangé du bout des lèvres, car je n’avais pas très faim. J’ai surtout dégusté le dessert, c’était du flan. Pauline, elle me gâte, elle fait toujours de son mieux pour me faire plaisir. Après, elle m’a refait mon pansement, elle a remis du mercurochrome sur ma tête et du désinfectant sur mes plaies, ainsi que de la crème à l’arnica sur les bleus. J’ai essayé d’être courageux et de ne pas trop me plaindre ; mais parfois, je serrais les dents tout de même. Ben dis donc, il t’a bien arrangé, j’espère qu’il sera puni lui aussi, c’est fou cette violence à l’école, de notre temps, ça ne se passait pas comme ça, on avait le respect des maîtres. Et on apprenait à respecter aussi nos petits camarades ! J’espère que tu ne vas pas être trop puni, tu diras bien à la directrice que c’est lui qui t’as provoqué en paroles. Et que ce n’est pas la première fois. Oui, Pauline, ai-je dit, mais je n’en menais pas large.

Quand maman est rentrée, à six heures, elle m’a trouvé en meilleure forme, elle m’a demandé si je souffrais encore, j’ai dit oui, un peu, mais que Pauline m’avait refait mes pansements. Tu veux dire Madame Billard ! Non, je dis bien Pauline, elle m’a même permis de la tutoyer, c’est trop cool, hein ? Si elle le permet, je n’ai rien à dire, mais quand même ! Tu exagères un peu, mon grand. Elle a dit qu’on appellerait le docteur Michon demain pour voir si tout se passait bien et s’il n’y avait pas d’infection. Elle a ajouté : j’ai pris un jour de congé, comme ça, ça me permettra d’être un peu avec toi. O merci maman, ça me fait bien plaisir. J’en profiterai aussi pour aller à l’école, car Mme la directrice m’a demandé de passer la voir. Je suppose qu’elle n’aura pas que des compliments à me faire sur toi ! J’ai baissé la tête sans répondre. Demain, tu me rappelleras comment se sont passées exactement les choses et sans mentir, a-t-elle ajouté. C’est dans ton intérêt. Cette précision m’a fait bouillir intérieurement, mais ce n’était ni le lieu, ni le moment d’en débattre. J’ai donc fermé ma bouche et ai gardé un silence total, malgré mon immense envie de rebondir sur ces deux mots sans mentir, qui semblaient aller en sens unique, et s’appliquer uniquement à moi et pas à elle ! Décidément, les adultes sont les rois du double langage, ils n’en sont pas à une contradiction près, mais l’important, dans l’immédiat, c’est de ne pas me faire renvoyer de l’école, tout le reste passe au second plan.

 

(à suivre)

 

© claude ammann, 2013

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