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Les jardins de Calude
9 octobre 2013

Papa n'est pa mort (6)

Le mercredi, comme maman travaille,

 

 

je vais déjeuner chez Madame Billard, la voisine. Le matin, je peux me réveiller plus tard, j’ai pour consigne de faire mon lit, de bien me brosser les dents et de laver la vaisselle du petit déjeuner. Maman me fait confiance sur ce point et ne s’inquiète pas trop de me laisser seul. Souvent, elle me passe un petit coup de fil dans la matinée pour savoir si tout va bien. A 15 heures, j’ai le judo, j’y vais seul ou Madame Billard m’accompagne. La salle ne se trouve qu’à 10 minutes de la maison. Lucas est inscrit également, ça fait 3 ans qu’on en fait ensemble, on se débrouille déjà pas mal. Maman tient à ce que je pratique un sport en dehors de l’école, elle dit que cela est bon pour la santé physique et morale. J’aimerais bien faire aussi de la musique, du saxo par exemple, mais elle dit qu’on n’en a pas les moyens. Dommage ! En classe, on fait de la flûte à bec, c’est barbant, la flûte à bec, j’ai horreur de ça. En plus, il y en a toujours un qui déraille au mauvais moment, c’est dur de boucher les trous à moitié quand on veut faire un dièse ou un bémol. Ou jouer à l’octave, en contrôlant bien son souffle, comme ça rate à chaque fois, ça fait un de ces dégueulando ! (c’est le mot qu’emploie la maîtresse) De quoi vous dégoûter à jamais de la musique. Y en a qui font exprès de jouer faux, pour l’embêter. Des fois, on a un intervenant qui vient jouer de la flûte traversière, alors là, c’est autre chose, il nous joue du Mozart ou du Bizet, quand il est là, on entendrait une mouche voler ! Il devrait venir plus souvent.

J’ai donné à manger à Octave et je l’ai laissé filer dehors, il faut bien qu’il vive sa vie de chat, un chat, c’est pas fait pour rester enfermé, après ils deviennent neurasthéniques et vous sautent dessus à la moindre occasion. Attention, il ne faut jamais attraper un chat par derrière quand il ne s’y attend pas, la réaction pourrait être violente, ni trop lui caresser les oreilles. Ni le ventre. Ni le prendre sur les genoux quand il n’en a pas envie ! Quand on sait tout ça, on n’a plus besoin d’avoir peur. Ah ! J’oubliais, il ne faut pas non plus jouer avec lui à travers la rampe de l’escalier, quand il sent qu’il vous domine, c’est là qu’il devient le plus redoutable et sort immanquablement ses griffes, même si c’est pour jouer, je m’y laisse souvent prendre et je paie mon inattention par de sérieux coups de griffes sur les doigts.

Je suis descendu à midi chez Madame Billard, ça sentait bon, elle avait fait un gâteau au chocolat en mon honneur, elle aime bien quand je viens, Madame Billard, depuis que son mari est mort, elle se sent un peu seule et ses enfants, éparpillés dans toute la France, ne viennent pas souvent la voir. Ils disent qu’ils n’ont pas le temps et elle, elle dit que quand on veut en trouver on en trouve. Elle a toujours plein de choses à me raconter, des choses du bon vieux temps, que nous les enfants modernes on ne connaît pas. Elle a acheté un beau bouquet de fleurs pour le cimetière, comme elle connaît mes goûts, elle me demande toujours, lorsque je peux le faire, de l’accompagner sur la tombe de Jules (c’est son mari). Je l’aide à nettoyer, à arroser et à couper les fleurs fanées. On ira tout à l’heure après le dessert et avant le judo. Ca nous laisse un certain temps et elle est comme moi, elle aime bien déambuler entre les tombes. En plus, vu son grand âge, elle a des tas de copines qui sont enterrées là ; avant, elle allait leur rendre visite chez elles, maintenant, elle va les voir ici, évidemment, au cimetière, ça manque grave de thé et de petits gâteaux. J’aime bien faire la visite avec elle, ainsi ses morts ne me sont plus tout à fait étrangers, j’apprends à mieux connaître Madeleine, qui était couturière et qui lui faisait de si jolis manteaux. Il y a aussi Joséphine, qui était boulangère, Marie, qui a eu sept enfants et Marguerite qui a failli lui faucher son mari. Mais elle ne lui en veut plus. Y a prescription, qu’elle dit en riant. Madame Billard est la seule qui ne s’étonne pas quand je parle avec les morts. Elle, c’est tous les jours qu’elle parle avec eux, et surtout à Jules à qui elle raconte en détail tous ses petits soucis du moment. Quand elle ne peut pas aller au cimetière, par exemple en hiver, à cause de la neige, eh bien, elle parle à sa photo, qui est la même que celle du cimetière, elle l’a fait faire en plusieurs exemplaires, une pour chaque pièce de la maison, et même pour le petit coin, une grande pour sa chambre et une autre pour l’entrée. Il y a aussi la photo de leur mariage, ils sont beaux tous les deux, on dirait qu’ils ont quinze ans. Les femmes ont des chapeaux rigolos, avec des rubans, les enfants des tenues de marin, c’est bizarre, la mode de dans le temps.

Quand elle arrive sur la tombe, elle fait le signe de croix, moi, jamais, maman a dit : on n’est pas croyants, alors, pas besoin de faire des simagrées, quand elle mourra, qu’elle a dit, maman elle se fera incinérer, il paraît que c’est quand on meurt par le feu. Après, on devient comme de la cendre et on nous met dans des petits pots, ça prend moins de place. Il y a des gens qui gardent leurs morts chez eux, sur une étagère, comme les confitures, ça leur permet d’y penser sans arrêt, et ils n’ont plus besoin d’aller au cimetière. Moi, je ne veux pas qu’on me brûle, je veux un beau cercueil en chêne avec des poignées en or, comme à l’enterrement de papy. Et plein de fleurs par-dessus. Et un beau corbillard tout noir décoré avec des volants et des broderies et une jolie place au cimetière ; j’aimerais bien être à côté de mon pote Daniel, ou de Valentin et de Germaine, à l’ombre du tilleul, c’est un bel emplacement et je me verrais bien là, au moins jusqu’au grand chambardement. Après, c’est une autre histoire…

On est partis à 14h, Madame Billard avait pris les fleurs, j’ai été chercher un arrosoir et on a remplacé les fleurs séchées par les nouvelles. Au printemps, elle fleurit la tombe avec des tulipes, des narcisses et des jonquilles, en été, elle cueille les fleurs du jardin, dahlias, glaïeuls et autres fleurs que je ne connais pas, ça fait des économies. En hiver, elle met de la bruyère, ou des pensées, c’est ce qui tient le plus longtemps. Et à la Toussaint des chrysanthèmes, il y a des pots énormes qui contiennent parfois au moins 30 fleurs, je ne sais comment ils font, les fleuristes, pour obtenir de tels monstres !

On a dit bonjour à Jules, il avait l’air content de nous voir, il avait toujours son beau sourire, Madame Billard lui a dit qu’elle avait mis le chauffage en route, car il faisait frais ce matin, elle lui a dit aussi qu’elle trouvait que la pompe faisait un bruit bizarre, qu’il faudrait peut-être appeler quelqu’un. Jules avait l’air d’accord, en tout cas, il n’a pas protesté. Elle a dit aussi qu’elle avait changé de boucher, car le père Blanchet avait augmenté ses tarifs et qu’elle trouvait que la viande était moins bonne. Il a dû prendre un autre fournisseur, a-t-elle ajouté. C’est un voleur, l’autre jour, il m’a resquillé de 20 centimes. Jules a pris un air désolé, son visage s’est assombri subitement, mais c’est peut-être juste parce que le soleil venait de se cacher. Après, elle a fait ses prières, en marmonnant ses phrases à toute vitesse, elle les connait toutes par cœur, mais je ne comprends jamais ce qu’elle raconte. Après, elle a dit au revoir à bientôt à Jules et lui a dit qu’elle allait faire un tour pour voir ses copines. Elle n’a pas parlé de Marguerite parce que tout de même, faut pas pousser le bouchon trop loin…N’est-ce pas mon gamin ? J’ai dit : oui, Madame Billard, faut pas pousser le bouchon trop loin, parce qu’après, on ne peut plus le rattraper. T’es pas bête pour ton âge, qu’elle a dit. On fera quelque chose de toi si les petits cochons ne te mangent pas.

J’ai demandé à brûle-pourpoint : madame Billard, vous savez où est mon papa ? Ben non, qu’elle a dit, je crois qu’il est parti à l’étranger, mais je n’en sais guère plus, ta maman ne me parle jamais de lui, tu sais ! Vous êtes sûre qu’il n’est pas mort ? Mais non, voyons, il a dû juste s’absenter, peut-être pour son travail ? Vous prenez le journal de temps en temps ? Je ne le prends que le samedi et le dimanche, l’abonnement, ça coûte trop cher pour ma maigre retraite ! Ah ! Bien, merci. Pourquoi tu me demandes ça ? Oh ! Pour rien, c‘était comme ça, juste pour savoir…

J’ai été chercher ma tenue de judo, j’ai embrassé Madame Billard et je suis parti en courant retrouver Lucas et les autres. Je poursuivrais ma petite enquête un autre jour !

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Commentaires
P
Oui rassure-toi, ce n'est pas un roman morbide, malgré les apparences, mais une histoire d'amour, d'humour et de tendresse...
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M
Etrange fascination quand même... J'espère que ce petit en sortira...
Répondre
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