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Les jardins de Calude
6 juillet 2013

TONTON JULES

bricoleur

 

 

Les meilleures vacances que j’aie jamais passées, c’est chez tonton Jules, à ce qu’on m’a dit, un lointain parent du commandant Cousteau, il l’aurait soit - disant aidé dans les plans de ce monstre des mers qu'est le bathyscaphe, dont on peut encore voir un exemplaire (ou une reproduction) à Port Aventura, en Espagne. C’était un homme bourru, ébouriffé comme un phacochère en colère, tout le monde le fuyait, mais moi, je l’aimais bien, il avait mille idées par seconde, plus farfelues les unes que les autres. Son garage était rempli d’ébauches curieuses et souvent tarabiscotées, par exemple le début d’une machine à réchauffer l’atmosphère et à éliminer les frimas en hiver, ou un modèle de bilboquet géant automatique, ou encore une machine à éviter les grumeaux  dans la pâte. Tata Lucie en avait assez de ces inventions stupides , qui occupaient la moitié de son temps et qui en fait ne servaient à rien. Car rare était l’invention qu’il menait jusqu’au bout, il l’abandonnait souvent en cours de route faute d’idées ou de matériel. Tous les ans, malgré tout , il se présentait au concours Lépine dans l’espoir de remporter un prix, et tous les ans il revenait bredouille ; Il avait fini par lasser le jury qui le traitait de foutriquet et l’incitait à cesser ces inventions folles qui ne menaient à rien ou s’enrayaient au premier tour de manivelle.

Mais tonton Jules ne voulait rien savoir. Alors, quand je venais en vacances, je m’enfermais avec lui dans l’atelier et il me montrait ses nouvelles découvertes, j’étais émerveillé devant tant d’imagination, tant de folle extravagance. Je passais ainsi des vacances merveilleuses, mais dès que nous remontions, nous avions droit aux reproches de Lucie qui sermonnait son mari en lui disant qu’il ferait mieux de m’emmener dans la campagne pour me faire profiter du grand air. Ou de me faire admirer le soir le ciel étoilé de l’été et ses merveilles interstellaires, mais Jules n’était pas du genre à obéir, il renvoyait sa femme aux cuisines en la traitant de virago, et dès le lendemain matin, nous repartions dans ses fatras de machines insensées qui ne fonctionnaient jamais. Depuis, tonton Jules nous a quittés, je le revois encore, dans son beau lit blanc et son oreiller de dentelle, semblant réfléchir à une dernière invention ; je garderai en moi le souvenir d’un homme merveilleux, qui croyait en son génie et qui a estimé jusqu’au bout pouvoir inventer la machine du siècle.

Après sa mort, tante Lucie a fait débarrasser la cave, il ne reste plus trace de la passion de son mari et c’est avec nostalgie et tristesse que je traverse désormais le grand garage vide en tendant l’oreille aux murmures et au bonheur de la vie d’autrefois. Et dans le silence oppressant, je crois reconnaître la voix bourrue de tonton criant à la cantonade : mais où sont encore passés mes boulons, ma visseuse, mon cruciforme, mes clés de 10, et tout ce charmant vocabulaire qui sert à désigner la panoplie du bon bricoleur qu'il fut ou qu'il crut être.

 

cloclo

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Commentaires
M
Certaines personnes ont tellement de présence qu'elles restent à tout jamais dans nos coeurs. Tu l'as joliment illustré par tes mots.
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P
J'adore tes histoires de ta vie, je suis vraiment fan, j'aurai aimé avoir un Tonton Jules mais moi j'ai eu un père qui aimait également bricoler dans son atelier qui était dans sa cave, et il m'arrivait aussi d'aller le rejoindre et de le regarder faire, lui n'était pas inventeur mais j'ai retrouvé récemment en faisant du tri un sac façon baluchon qu'il avait confectionné, il faut dire qu'il était cordonnier de métier et travaillait également le cuir....cela m'a rappelé bcp de souvenirs...gros bisous ma belle (ou en est ton nouveau livre ?)
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