Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les jardins de Calude
5 mars 2012

Panique au jardin (1)

07

 

On arrivait à la fin de la saison froide. Les animaux avaient beaucoup souffert, à cause des records de froid enregistrés cet hiver. Surtout les oiseaux. Ils avaient dû jouer de toutes sortes de ruses pour se maintenir en vie,  par exemple gonfler leurs plumes ou s’arranger pour tomber malades afin de faire grimper leur température. Il n’était pas rare que les salles d’attente regorgent de spécimens atteignant la fièvre record de 44 ou 45°. Docteur Hibou répondait à toutes les questions, surtout aux mères anxieuses dont c’était la première couvée. Les jeunes étaient plus fragiles que les autres et quand ils ne mouraient ni de froid, ni de maladie, ils se faisaient le plus souvent dévorer, malgré les mises en garde de leur mère, par les matous du voisinage, qui rôdaient sans relâche et guettaient le moment propice, celui où ces pauvres petites bêtes laissaient retomber toute méfiance en saisissant, de leurs petits becs gelés, la graine que leur protectrice avait disposée pour eux dans la mangeoire le matin même.


P1060492

Une épidémie de bronchiolite avait décimé récemment les rangs de cette petite colonie cosmopolite qui, famine oblige, cohabitait  tant bien que mal et supportait exceptionnellement la présence d’espèces habituellement détestées. Ainsi on put voir picorer conjointement moineaux, mésanges, rouges gorges, rouges queues,  merles, tourterelles et même corbeaux voraces qui, en un temps record, dévalisaient la réserve destinée aux plus mal en point. Il faut dire que, malgré la conjoncture, ces messieurs affichaient une santé florissante qui frisait les limites de l’indécence. Le ventre rebondi, l’œil toujours vif et la plume reluisante, ils étaient un défi vivant et insupportable pour ce petit monde ailé qui, dans sa grande sagesse, ou plutôt son impuissance, se gardait bien de leur en faire la remarque.

rougegorge

Un jour, une bande d’étourneaux s’abattit sur cet éden paisible et prolixe et fit table rase de la réserve de graines fraîchement distribuée à mes petits protégés. J’étais atterrée. Et rien à faire pour arrêter leur appétit insatiable, je fulminais, je les insultais, rien n’y fit. Le lendemain matin, au réveil, je m’habillai en hâte pour aller constater les dégâts. C’est alors que là je les vis,  gisant dans l’herbe, devant moi ; il y en avait deux, allongés par terre, raides morts, l’un d’eux avait même été l’objet d’une fouille en règle et dépossédé de quelques uns de ses organes. Je ne pus que remercier les chats (certainement pas le mien qui est d ‘une paresse extrême) de m’avoir débarrassée de deux de ces intrus. Mais cet événement ne découragea nullement leurs congénères, qui continuèrent à s’inviter sans vergogne à une table où ils n’étaient pas conviés. Je répugnais à enlever les corps et décidai de remettre au lendemain une tâche qui m’est toujours très pénible, même si je déteste les étourneaux. Heureusement pour moi, quelques hôtes de passages, rat ou renard sans doute, avait nettoyé la place ; ne restait de ce carnage que quelques plumes éparses, seule trace d’un festin sans doute salutaire.

apash01


Il y a un oiseau qui règne en maître sur ce jardin : c’est le pic épeiche, il a une voix de stentor et quand il crie, là-haut, sur le noyer, rien ne peut vraiment l’arrêter. Le rossignol n’a plus qu’à mettre la pédale douce et annuler tous ses concerts. Idem pour  la fauvette et les autres candidats qui peuvent se désinscrire à Voice ou à un concours genre star’ac ! Monsieur Pic est un solitaire, il ne consent à être accompagné que pour se reproduire, après ça, il envoie sa partenaire se faire voir ailleurs que dans mon jardin où il règne en maître absolu. Monsieur Pic adore faire des trous dans mes arbres, au risque de les abimer, peu importe, de loin ou entend, toc, toc, toc, c’est le martèlement régulier de son solide bec sur tous les troncs qui ont eu l’heur de lui plaire. Mais Monsieur Pic est tellement merveilleux, avec sa queue rouge et sa tête noire et blanche, qu’on est prêt à lui passer tous ses caprices. Rares sont les moments où il vient voler aux autres un peu de nourriture, c’est un grand seigneur et tous et toutes le respectent.


pic

Dernièrement se sont joints au groupe déjà nombreux de ces messieurs-dames, un couple merveilleux de… bruants, tarins, serins, je ne sais pas trop, enfin deux petites boules jaune vif  ravissantes que je n’avais jamais observées depuis mon installation ici il y a plus de 15 ans. A part les mésanges bleues et charbonnières qui avaient élu domicile vers la mangeoire, et étaient en train de se disputer autour d’une boule de graisse, les autres, ceux qui picoraient méthodiquement les graines sous le cèdre,  commencèrent à se rebiffer et à leur dire qu’on n’était pas aux restaus du cœur, et qu’avec le manteau qu’ils pouvaient s’offrir, ils pouvaient aussi se payer un bon restaurant et ne pas venir les plumer et voler la nourriture des smicards ou autres Rmistes qu’ils étaient…

DSCN3229

D’autres se mirent à se moquer d’eux, en leur disant qu’on était pas encore à Carnaval, mais Toto et Julie, les deux petits nouveaux, ne s’en laissèrent pas conter et restèrent dignes et stoïques comme peuvent l’être les oiseaux de leur rang. Bien décidés malgré tout à s’empiffrer et à manger à tous les râteliers,  ils continuèrent  à picorer sans vergogne  cette manne imprévue, et sans complexe aucun. Les autres, qui ne faisaient pas le poids, durent tout simplement s’incliner devant eux et accepter qu’ils reviennent dès que la faim se ferait à nouveau sentir.

DSCN2991

Le froid s’accentuait, les épidémies faisaient rage, Monsieur Hibou avait dû embaucher un extra qui ne prenait que les cas bénins, petit rhume ou extinction de voix. Pour les cas plus difficiles, monsieur Hibou n’hésitait pas à se déplacer à domicile  je le voyais, tard dans la nuit, perché sur le grand chêne, chaussé de ses grosses lunettes, avec sa trousse médicale entre les pattes, et quand j’entendais ses hou hou désespérés, je savais qu’un des leurs allait manquer demain à  l’appel. Là-dessus, il se remit à neiger, on ne pouvait retrouver trace des graines que j’avais semées, les oiseaux, transis,  gonflaient encore leur plumage davantage, les plus hardis creusaient la neige autant qu’ils le pouvaient, les plus faibles s’étaient réfugiés dans la haie.

hibou

On compta encore trois oiseaux en moins à l’appel, une mésange avait été dévorée par un chat, deux moineaux étaient morts de froid, on fit une minute de silence pour les victimes tombées au champ d’honneur et pour les cas désespérés que monsieur Hibou n’avait pu sauver. Puis on songea à convoquer une assemblée exceptionnelle, sous la houlette de monsieur Pic, le seigneur du jardin, pour décider s’il fallait ou non instaurer une TVA sur les produits ici consommés. On espérait ainsi limiter le nombre d’intrus au jardin. Monsieur Pic accepta le principe de la réunion, pourvu qu'il puisse garder la tête en bas et les pattes en l'air, ce qui était sa position préférée.


P1100614bis


La réunion eut lieu sur le grand pin, assez haut dans l’arbre pour qu’un félin ne vienne les déloger. Monsieur Hibou, en tant que délégué syndical, prit la parole en ces termes : pour les anciens, les habitués, les syndiqués, je propose une exonération permanente de la taxe, pour les nouveaux, une taxe d’un euro par 100 grammes de graines dévorées. Monsieur Pic n’osa pas proposer une taxe sur les chenilles et les vers de terre, étant donné qu’il s’en régalait  lui-même de temps en temps.  La proposition fut mise au vote ; à part Toto et Julie, qui ne savaient trop où se situer, tous votèrent oui à l’unanimité. Blanche la Tourterelle proposa un amendement qui prévoyait que pour les gros mangeurs comme elle, le poids autorisé soit porté à 200 grammes. Sa requête fut acceptée. La nouvelle loi serait applicable immédiatement, dès le lendemain. Il était bien entendu que cette loi excluait définitivement les corbeaux et les pies et autres monstres du jardin, contre lesquels il serait déclaré une guerre impitoyable. La loi serait levée dès le printemps, époque où les oiseaux redeviennent aptes à se nourrir eux-mêmes.

DSCN3232

tourt01

A partir de maintenant, Corbeaux, corneilles, choucas et autres corvidés étaient systématiquement déclarés persona non grata et chassées immédiatement du jardin, si par hasard leur prenait l'envie de s'y poser.  On ne pourrait désormais avoir recours à eux que dans des circonstances bien précises : uniquement en tant que fossoyeurs de la nature,  au cas où l’un des leurs viendrait à disparaître. Et c’est tout. Tout le monde se quitta en bonne entente et regagna son logis.

DSCN3292


 

Or, le lendemain, il arriva une chose imprévue : un nouvel hôte que personne n’avait jamais observé au jardin se présenta au pied de la haie, là où les graines étaient encore abondantes.  Il était de belle taille, avait des ailes bleues et brun roussâtre, la queue noire et le croupion blanc. Madame Mésange interrogea monsieur Pinson qui, à son tour interrogea monsieur Rouge-gorge qui à son tour interrogea monsieur Rouge- queue… mais personne n’avait jamais vu encore ce genre d’individu au jardin. On alla frapper chez monsieur Hibou, qui, lui, a une aire de distribution plus étendue. A la description que lui firent tous ces messieurs, il en conclut qu’il s’agissait d’un geai des chênes et que, malheureusement pour lui, le geai des chênes appartient aussi à la famille des Corvidés. On ne pouvait faire aucune exception, malgré son beau plumage et son joli ramage, il fallait le chasser au même titre que les autres. Ce qui fut dit fut fait. Monsieur Geai ne remit plus les pieds au jardin. A mon plus grand regret.


geaiter

DSCN3236


FIN (provisoire)




A SUIVRE....(peut-être)

textes et photos de Cloclo (sauf le hibou, hou, hou...)














Publicité
Publicité
Commentaires
M
Super, nous avons un jardin fort semblable.<br /> <br /> http://www.natagora.be/index.php?id=794;<br /> <br /> Peut-être trouveras-tu ici les espèces inconnues ?
Répondre
Les jardins de Calude
Publicité
Les jardins de Calude
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 202 618
Publicité