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Les jardins de Calude
16 janvier 2012

Un repas interminable

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Je le savais au départ. Je lui avais dit que je n’avais pas envie de sortir ce soir-là. Mais lui, tentant la persuasion : chérie, un petit dîner en amoureux, ça serait sympa, non ? Ca te sortirait de ta maison et de tes casseroles ! Je n’aime pas le restaurant, c’est souvent guindé, interminable, il faut attendre des heures entre chaque plat. Les serveurs sont mielleux, condescendants, ou alors mal élevés, ils vous bousculent pour vous servir un plat, vous interrompent dans vos tête-à-tête pour vous poser toute une série de questions inutiles et stupides : « vous n’avez besoin de rien ? Si vous manquez de quelque chose, n’hésitez pas, nous sommes à votre service, encore un peu de pain, une carafe d’eau ? Cela m’assomme. J’ai envie de leur ficher la carafe à la figure, ou de faire tomber un couvert, un verre, exprès, rien que pour les embêter.

Ma « moitié » a l’air d’insister, j’accepte après mille tergiversations, bon, si ça te fait plaisir, où va-t- on ? Ah ! Tu avais réservé, ça m’agace, cette façon de décider tout à ma place, ce n’est pas ma moitié, c’est plutôt mon trois quarts ou mon 7/8°, ce mari là ! L’endroit n’est pas mal, ambiance feutrée, lumière indirecte, bougies sur les tables, nappe de coton brodée et serviettes assorties. Le serveur s’avance et me tend une carte grande comme une vielle carte du monde pliée en deux, celle qu’on trouvait pendue au mur dans les écoles autrefois.

Vrai, y a du choix, ça va du blinis au saumon fumé au miel  au bavarois praliné pistache en passant par la langouste au beurre vanillé. Pour ma part, je préfère les plats de viande, bien de chez nous, moins raffinés mais qui tiennent au ventre. Au moins pour trois heures. Lionel préfère les fruits de mer, les huitres, le homard, moi je suis pour le magret, le confit, la poule au pot. La liste est interminable. J’ai du mal à faire mon choix. Après quelques minutes, lui a opté pour un rouget avec carpaccio de St-Jacques sur lit de riz sauvage (remarquez au passage la prétention du langage) moi j’hésite encore, je serais tentée par le poulet aux morilles, le gratin de coulemelles aux lardons ou encore les champignons farcis au beurre d’escargot

Le serveur s’impatiente. Je lui décoche un sourire d’attardée mentale et il fait demi-tour sur place en faisant claquer ses talons, et en me jetant un regard noir au passage. Je jubile et reprends ma carte format géant. Lionel commence à s’impatienter, la faim le tenaille, ça se voit à son teint pâle et à ses claquements nerveux de doigts. Il a demandé deux cocktails maison en attendant que je me décide. Moi, je m’éclate dans mon coin, je fais mine de détailler le menu à voix basse mais tout de même assez haut pour que cet imbécile de serveur l’entende, comme si je répétais un rôle pour ma prochaine entrée en scène. Si ses yeux étaient des révolvers, je serais déjà morte depuis longtemps.

Nous sirotons notre apéro en nous envoyant de doux regards ; Il m’a même pris la main, il sait être tendre, parfois, mon Lionel, y a pas de doute ! Y faudrait quand même que tu te décides, me dit-il entre deux serrements de mains. Je hèle le serveur : pour moi, ce sera : un gratin aux coulemelles. Il a l’air soulagé. Mais je pense qu’il anticipe déjà sur ses peurs de me voir hésiter pareillement pour le dessert. J’ai déjà choisi, ce sera  un moelleux mirabelle et noisettes, mais j’ai bien l’intention de le faire mijoter un peu encore dans son jus. Tu es infernale, dit Lionel, mais à quel petit jeu joues-tu ? Ce serveur m’horripile, avec ses airs sucrés et l’air d’ en avoir deux, c’est un faux-jeton, il a une âme noire et veut se faire passer pour un saint, alors que c’est un diable déguisé en serveur, murmurai-je en pouffant !

Lionel rit de ma bonne humeur, sans partager vraiment mon jugement, qu’il trouve un peu exagéré. C’est l’école hôtelière qui forme ce genre d’énergumène, me dit-il, ils portent le menton haut, se tiennent droit comme des I, ils ont des attitudes un peu amidonnées, comme leur col de chemise. C’est le protocole qui veut ça. Je ris de plus belle, notre serveur coincé apporte mon plat, il a belle allure (mon plat) ils n’ont pas lésiné sur les champignons. C’est un bon point pour eux. Lionel déguste son rouget en se relèchant les doigts pour ne rien perdre de la sauce. La vie est belle, du moins à cet instant.

Je refais mon numéro pour le dessert, mais avec moins d’insistance, car j’ai l’estomac un peu ballonné par toutes ces bonnes choses et mon énergie tend à dégonfler au fur et à mesure que mon ventre se remplit. Le serveur étouffe un baillement en m’apportant mon café, il doit sentir la fin du service et il n’a plus la force de prendre ses poses de torero prêt à l’estocade. Je dépose également les armes et Lionel son chèque dans la coupelle prévue à cet effet. Il y ajoute un copieux pourboire pour compenser, dit-il mon manque de civilité et d’empathie à l’égard d’une profession ingrate et difficile.

De retour à la maison, je me sens de plus en plus lourde et de violents maux de ventre me prennent. Lionel me donne des médicaments en me disant que ce n’est rien et que ça va passer. Que Nenni, les maux redoublent d’intensité, il faut appeler les secours. Après, c’est le trou noir, je ne me souviens plus de rien.

Quelques heures plus tard, je me réveille dans une chambre d’hôpital, avec des tuyaux partout, Lionel est là à mon chevet, qui me veille tendrement. Je lui souris béatement, je ne réalise pas bien ce qui m’est arrivé. Il a l’air heureux, en tout cas soulagé. Il a cru que j’allais trépasser. Pourquoi et comment ? Ca, je n’en ai aucune idée.

Quand je retrouverai un tantinet de raison, j’apprendrai que parmi les fameux champignons que j’avais, au goût, trouvés si délicieux, s’était glissé un intrus, un peu moins consommable voire plus toxique que les autres, mais heureusement non mortel. L’équipe d’urgence, après un bon lavage d’estomac, avait su me tirer de ce mauvais pas dans lequel je m’étai mis. Ca m’apprendra à faire tourner les gens en bourrique, pensais-je, à force d’hésitations, j’ai fini par faire le mauvais choix.

Quelques temps après, j’ai reçu un chèque de dédommagement du restaurant, pour le préjudice causé à ma personne. C’est sûr que je n’y remettrai plus les pieds et qu’à l’avenir, je prendrai mes décisions avec un peu plus de rapidité.

Mais ça, je ne peux pas  le jurer à 100% non plus !


cloclo

 

 

 

 

 

 

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Commentaires
E
ah tu me fais repenser à cette page culte :<br /> <br /> http://www.youtube.com/watch?v=eP7nQY6ovNU
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