7 vies et un peu plus

J’ai eu seulement sept vies, enfin c’est du moins ce que prétend la sagesse populaire. Moi je crois que j’en ai eu bien davantage.

D’aussi loin que remonte ma mémoire, je me revois dans mes années de gloire où l’on me vénérait, me célébrait de mon vivant et quand mon temps de passage sur cette terre était révolu, on ne me jetait pas sur un tas d’ordures, sans ménagement, comme aujourd’hui. Non, on m’enveloppait de bandelettes, on m’embaumait et m’allongeait à côté de mes maîtres. Ah ! Quelle vie merveilleuse je menais ! Les prêtres de Bastet me rendaient hommage et voyaient en moi la déesse réincarnée de l’amour, les Celtes me donnaient le nom de chat Palu et en Irlande, j’ai vécu sous les traits d’un animal reposant sur une chaise de vieil argent. Quel honneur pour ma modeste personne !

Et dans les Vosges, où mon pelage était blanc (eh oui, j’ai été blanc, ça vous épate), on m’appelait le Chat d’Argent et l’on m’envoyait faire un mystérieux voyage chargé d’un sac vide. Je revenais au bout de quelques mois, mon sac rempli d’écus d’or. J’étais symbole de richesse et d’abondance.

 Aujourd’hui, je n’ai droit qu’à un vieux pull-over troué et mes maîtres n’hésitent pas à me donner un coup de pied dans le derrière quand je me trouve sur leur passage.

O cruel souvenir de ma gloire passée ...

Je fus aussi femelle et déesse blanche, déesse de la fécondité, de la Lune, que sais-je encore, je ne me souviens pas de tout, hélas, je ne suis qu’un félin, je n’ai pas une mémoire d’éléphant ! Mais il y a pourtant un souvenir qui restera gravé à jamais dans ma mémoire, c’est le jour où l’on m’a dégusté, la nuit de Noël, comme un vulgaire civet de lapin. n finissant sa dernière bouchée, le maître des lieux a dit : cela fera un démon en moins !

Suis-je bon, suis-je mauvais ? Qui pourrait jamais le dire ? J’ai vécu des époques sombres où l’on me détestait et d’autres plus joyeuses où ma simple apparition faisait se pâmer les foules. On m’a aimé et adoré quand j’étais noir, on m’a maudit et torturé pour ces mêmes raisons. Foi de greffier, qui pourrait prétendre encore que l’esprit de l’Homme n’est pas versatile ? Un jour, on vous sacralise et le lendemain on vous brûle. J’ai été déesse, divinité, j’ai été démon ou sorcière, je ne suis plus à présent qu’un vulgaire chat de gouttière…

Il paraît qu’au Jugement dernier, j’escaladerai les murs de l’Enfer et que j’aiderai le gardien à jeter les âmes damnées dans les flammes, pour l’instant, je me contente de sauter la grille du voisin pour voir si, par hasard, mon copain Félix n’aurait pas laissé quelques croquettes dans sa gamelle.

On peut être un Symbole et avoir  bon appétit, pas vrai ?

cloclo