NUITS DE PHOBIE
- Chéri, il est tard, tu ne penses pas qu’on devrait dormir ?
- Attends, j’en suis à la 1047° page, encore une dizaine et c’est fini
- T’exagères, c’est pas toi qu’a bossé toute la journée dans la maison ! ! De toute façon, c’est pas un polar, c’est pas grave si tu le termines demain !
- Mais rien ne t’empêche de dormir de ton côté !
- Parce que tu crois que je peux dormir avec trois ampoules à 110 watts ?
- Là, c’est toi qu’exagères, c’est du 100 !
- Tu vas pas chipoter sur 10 watts, de toute manière, c’est 110 watts de trop
- 110 watts de moins, c’est la nuit totale, poussin, tu sais bien que j’ai peur du noir
- Mais oui, bébé, tu veux pas aussi ton doudou et ta sucette et que je te chante une berceuse ?
- Ne te fiche pas de moi, t’as bien peur des araignées, toi !
- Attends, rien à voir ! La nuit n’a pas d’énormes pattes velues et ne me chatouille pas le nez quand je dors !
- Si tu te taisais, j’aurais déjà fini !
- Tu parles, tout ça pour un livre qui tourne en rond ! Et ça fait six mois que tu lis le même tous les soirs !
- Quoi ? Tu oses dire ça de Belle du seigneur ? Tu devrais le lire, ça t’apprendrait au moins combien sont nuancées et multiples les palettes de l' amour !
- Chéri, à notre âge, et au bout de 30 ans de mariage, il serait bien insensé de parler d'amour. On se supporte, c'est déjà pas si mal ! Et il ne faut pas 2000 pages pour le dire.
- Ecoute ça : O coups profonds, frissonnante mort, sourire désespéré de la vie enfin qui s'élance et fait éternelle la vie... j'en ai des frissons
- Remonte le chauffage si t 'as froid, ou mets la couette
- Décidément, ma pauvre Raymonde, tu ne comprendras jamais rien à rien, ton âme de béotienne me désespère !
- Je ne suis pas béotienne, je suis déodatienne !
- Et voilà, j'ai épousé une inculte, une illettrée et une... vosgienne. Mais qu'est-ce qui t'intéresse donc dans la vie ?
- Pour le moment, ce qui m’intéresse c’est la couleur noire, NOIRE, tu entends ?
- Comme l’araignée velue qui, bientôt …
- Henri, ferme ton clapet, et cesse de me stresser avec ça, et dépêche toi d’éteindre la lumière !
- Fais le toi-même !
- Tu sais bien que le bouton est de ton côté, gros égoïste !
[Il referme son livre à regret]
- Chéri, tu as oublié d’ôter tes lunettes
- Ce n’est pas un oubli
- Ah bon ? C’est pour quoi ?
- Je les garde sur les yeux pour mieux voir mes rêves !
FIN