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Les jardins de Calude
19 juillet 2011

Sous le signe du feu...

Lun_ville

 

Quoi de plus merveilleux pour faire courir l’imagination, que de se représenter un château, sept lettres et un chapeau, comme on dit en grande section de maternelle.  Ouvrez la porte et vous entrez droit dans la légende, les seuls mots de douve et de donjon vous fascinent, vous ne savez pas trop de quoi il en retourne, peu importe, vous voilà déjà lancé dans le grand escalier qui monte à la tour où votre princesse vous attend.

Ce n’est pas Peau d’âne, ni Cendrillon, ni la belle au bois dormant, mais une vieille dame, presque centenaire qui vous attend en bas, au bureau de la plus grande salle et qui vous reçoit en vous disant : J’ai connu des heures plus fastes, mais avec les années, les murs se sont dégradés, le toit prend l’eau, et dernièrement un grand incendie a endommagé toute une aile du château, entièrement détruit la chapelle et une partie du musée.

La vieille châtelaine tient entre ses mains le manuscrit qu’elle est en train d’écrire et commence à me lire les premières lignes : Cher Voltaire, vous souvenez-vous de ce château que vous aimiez tant, où vous trouviez refuge quand les fâcheux de Versailles vous cherchaient querelle ? Votre carrosse s’arrêtait dans la cour d’honneur, on vous portait à votre chambre qui donnait sur le parc…A l’intérieur, se trouvait un vaste salon surmonté d’une tribune avec des décors extravagants : des angelots qui côtoient des guirlandes de fleurs et des aigles menaçants aux ailes déployées.  Et puis, il y avait cette tapisserie, gigantesque, occupant presque tout le mur, qui représentait un lion tenant sa proie déchiquetée dans sa gueule. Ah ! Comme Adélaïde et Victoire, petites filles du roi, poussaient de cris de terreur quand elles voyaient cet horrible animal, semblant presque vivant, avec ses yeux de feu qui paraissaient jaillir hors de la toile et jetaient des éclairs !

En 1762, quand le château prit feu pour la première fois, tout le monde s’écria : c’est ce maudit lion qui nous a porté malheur, on aurait dû détruire cette toile depuis fort longtemps ! Regardez-le, il semble encore nous narguer, c’est tout de même incroyable qu’il soit l’un des seuls rescapés de l’incendie !

Stanislas, roi débonnaire et philosophe vous y attendait. Vous pouviez alors, à l’abri des regards et des indiscrets, vous livrer à vos écrits, poèmes, pamphlets et fomenter vos complots tout à votre aise.
Oui, vous aviez cet énorme défaut de brocarder et d’attaquer à tout va, personne n’échappait à votre sens aigu de la critique, vous passiez vos journées et vos nuits  à préparer de nouvelles cabales avec le soutien de ce grand fou de Frédéric qui vous écrivait de Prusse et avec qui vous vous entendiez comme larrons en foire.

La vieille dame s’interrompt pour me donner à boire, je vois son œil vif qui pétille en évoquant des histoires qu’elle n’a pas connues, mais qu’elle devine derrière chaque mur et chaque porte de ces chambres où tant de choses se tramèrent et s ‘accomplirent…

Elle reprend sa lecture :

Près du  bon roi Stanislas, je crois apercevoir une ravissante dame blonde, du nom de Me de Boufflers, rimailleuse à ses heures, appelée la « dame de volupté ». Cette dame a autant de charme que d’esprit et un sérieux bon sens. Le roi en est fou. Et vous, cher Voltaire, je vous vois assis à côté d’une autre grande dame que vous appelez Uranie et qui dira de vous : j’ai reçu de Dieu une de ces âmes tendres et immuables qui ne savent ni déguiser, ni modérer leurs passions … Toujours une histoire de feu...Et pourtant, elle vous quittera quelques années plus tard pour ce bellâtre de Saint-Simon.

- Oui, cher Monsieur, les châteaux sont bien le reflet de la vie, mêlant au bonheur, le tragique, l’absurde et même le grotesque ! Vous l’avez dit vous-même : Saint-Simon était un mufle doublé d’un maladroit.

Mais je vous ennuie, cher Monsieur, avec toutes ces vieilles histoires. Voulez-vous m’accompagner jusqu’aux Bosquets, vous pourrez admirer nos vastes jardins à la française. C’est une pure merveille…

- Non, vous ne m’ennuyez pas, votre récit est passionnant ; je veux tout savoir à présent sur la romance de Monsieur de Voltaire, comment cette histoire s’est-elle terminée ?

- Madame de Châtelet, puisque c’est bien d’elle qu’il s’agit, tomba bientôt enceinte des œuvres de Saint-Simon, elle vint accoucher ici, à Lunéville, l’accouchement se passa mal, très mal, tiens, faites moi penser à vous montrer l’instrument qui servit à extraire la tête de cette pauvre petite du ventre d’Emilie, il se trouve dans l’une des vitrines du musée. La petite survécut, mais Emilie, soudain, en buvant un verre d’orgeat glacé est prise de sueurs froides, suffoque, appelle à l’aide, et malgré le secours du médecin du roi, appelé à  la hâte, elle succombe d’une syncope quelques minutes plus tard.

Voltaire quittera Lunéville pour ne plus jamais y revenir. Sa nièce l’attendra à Paris,  puis il partira retrouver son ami le roi de Prusse, en tentant d'oublier le jour cruel où il perdit  la femme qu’il avait le plus aimée.

Ah ! Monsieur, comment ne pas se souvenir de ces moments de gloire qui virent passer ici tant de célébrités, de Marie Leszczynska à Léopold, de Boffrand à Mansart, quand notre château, pour la seconde fois, vient de brûler ? Alors, c’est en me référant non plus à l’écrivain, au philosophe, mais à l’homme d’affaires qu’était Voltaire, que je lui demande encore une fois : Cher Monsieur Voltaire, aidez-nous, vous qui avez passé ici tant de moments joyeux et d’autres plus douloureux, à rebâtir notre château pour qu’il renaisse et  retrouve ses fastes et ses splendeurs d’antan, ainsi que l’ambiance heureuse de ses  fêtes d’autrefois.     

 S’il vous plaît, cher Monsieur Voltaire, pour la seconde et dernière fois j’espère, faites quelque chose pour sauver notre petit Versailles  lorrain !

 cloclo

Le château de Lunéville a en partie brûlé le 2 janvier 2003, le feu s'est déclaré dans la chapelle sous l'effet d'un arc électrique déclenché par la tempête qui sévissait sur la région ce jour-là. Une souscription a été relancée pour reconstruire le château et à ce jour, les travaux continuent, mais des trésors ( dont la statue et les vêtements de Bébé, le nain deStanislas, ainsi que des pièces rares de Gallé,  Prouvé ou Majorelle et bien d'autres trésors) ont été engloutis à jamais.

Autre ironie du sort, Stanislas lui-même périt des suites de brûlures occasionnées par un feu de cheminée au château de Lunéville, à l'âge de 88 ans !

 

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Commentaires
M
Une bien intéressante et agréable façon de nous faire découvrir l'histoire de ce château et de ses habitants. Merci Cloclo.
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