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Les jardins de Calude
17 avril 2010

HENRY

adoption

Ce matin est un grand jour. Anna et moi nous envolons tout à l'heure pour Haïti. Nous avons tout prévu pour notre séjour là-bas. Tout ce qui nous sera nécessaire, étant donné les raisons de notre déplacement. Peu de vêtements, un pull over, un vêtement de pluie, car là-bas, la météo est changeante. Anna frissonne en entendant l'appel de notre numéro de vol. Cela fait si longtemps qu'elle attendait cet instant. Elle n'y croyait même plus, et voilà que le miracle s'est produit. Elle se blottit contre moi et me fait un petit baiser furtif. Nous aurons bien le temps ensuite de nous lover l'un contre l'autre dans l'avion, étant donné la longueur du vol !

Nous avons fêté cette année nos dix ans de mariage, dix ans de bonheur, malheureusement ternis par nos espoirs de descendance, si souvent souhaités, et si  souvent déçus. Nous avions pourtant tout prévu, tout calculé. Notre petite fille (car ce serait une fille) ressemblerait à sa mère, et aurait de jolis yeux bleus et des cheveux blonds soyeux, très longs, qui tomberaient souplement sur ses épaules, comme sa maman. Elle aurait aussi le caractère bien trempé de son père, ferait quelques colères comme lui, enfant, et irait bouder dans sa chambre sans plus vouloir nous parler. Elle serait sportive, ferait du tennis, du cheval, et un peu de musique, pourquoi pas de la guitare, comme papa. Ou bien rien du tout, ce serait aussi son droit, elle se contenterait d' être notre fille, tout simplement.

Mais les années passèrent, et la nature résistait à nos tentatives. Vint le moment de faire appel aux spécialistes et nous vécûmes pendant des années ce que je pourrais appeler un enfer, passant d'un espoir fou à des déceptions cuisantes. Malgré tous les progrès de la médecine, on ne pouvait plus rien pour nous.

Anna me regarde tendrement par dessus le magazine qu'elle fait semblant de lire, car je sais que ses pensées sont ailleurs. Parfois, je la vois essuyer une larme furtive, l'émotion, la tension nerveuse, la joie, l'appréhension, tous ces sentiments réunis dans une simple petite goutte d'eau salée, les larmes d'Anna. Puis elle pose sa tête sur mon épaule et s'endort. La nuit noire est venue et je contemple les étoiles en pensant à demain. J'ai du mal à m'endormir, car sans vouloir montrer ma fébrilité à Anna, je suis également inquiet, j'ai peur que les choses se passent mal, ou qu'un imprévu fasse au dernier moment, échouer nos projets.

L'avion décompresse tout doucement, l'atterrissage n'est pas loin. Il nous faudra encore quelques heures de tap-tap pour rejoindre l'endroit de la rencontre. Les routes sont mauvaises, la boue recouvre une partie de la chaussée, suite aux dernières intempéries. Anna se mord nerveusement les lèvres et me serre les mains de toutes ses forces. Les haïtiens sont gentils, accueillants et ne savent que faire pour nous, malgré leur grande pauvreté. Nous passons devant des paysages sublimes entre mer et montagne où s'étirent les flamboyants et les corosols, qui offrent aux rares promeneurs leur ombre bienfaisante. Plus loin, des enfants font voler un cerf-volant.  Quel merveilleux pays, me chuchote Anna dans l'oreille.
Nous voici enfin arrivés. Une dame en noir vient nous ouvrir le portail et tout de suite une nuée de bambins se précipitent sur nous, s'accrochant à nos basques, réclamant qu'on les prenne dans les bras. Nous ne pouvons malheureusement pas tous les satisfaire. La cour est emplie de joyeux rires, de cris stridents et de quelques pleurs qui se mêlent à tout ce beau tumulte. La dame en noir, tout sourires, nous fait entrer à la nursery. Anna s'appuie lourdement sur moi et fait peser tout le poids de son corps sur le mien. On dirait qu'elle va chanceler. Mais elle se reprend au dernier moment et esquisse un pâle sourire. Nos regards font le tour de la pièce. Le suspense est à son comble, saurons-nous le reconnaître parmi tous les autres ?
Nous ne savons pas grand chose de lui. A part qu'il a été abandonné très vite par sa famille, que c'est un bambin calme, mais un peu timoré,  et qui fait régluièrement des cauchemars la nuit. Il faut l'entourer, le rassurer et tout rentre alors rapidement dans l'ordre. Jusqu'à la nuit suivante, où le même scénario se reproduit. On nous a expliqué que ce genre de cas arrive fréquemment ici, en raison des traumatismes souvent graves subis par ces enfants.

- Voici votre petit Henry, dit Soeur Antonine, comment le trouvez-vous ?

Ni l'un ni l'autre n'avons la force ni le temps de répondre. Anna a saisi le petit dans ses bras et réprime avec beaucoup de mal ses pleurs. Nous restons sans voix pendant de longues minutes. Soeur Antonine, respectueuse de ce moment exceptionnel, joint ses silences aux nôtres. Le petit nous regarde fixement, il paraît surpris, désemparé, ne réalise pas vraiment ce qui lui arrive. Puis va se réfugier précipitamment dans les jupes de la dame en noir,  lui signifiant qu'il veut rester avec  elle. C'est normal ! Nous ne sommes encore que des étrangers pour lui. Nous lui parlons avec douceur, avec des gestes calculés, pour ne pas l'effrayer, Anna lui tend gentiment un petit ours en peluche bleue, qu'elle a sorti de son sac. Henry s'en empare en détournant son regard, puis en nous fixant alternativement, soeur Antonine, Anna et moi. Hésite encore pendant un certain temps, puis brusquement va se jeter dans les bras d'Anna.

Je crois que toute notre vie, nous nous souviendrons de cet  instant unique. Le moment où nous avons eu la certitude, Anna et moi,   de donner enfin naissance à un enfant. A NOTRE enfant.

Nous avions rêvé pendant dix ans d'une petite fée aux yeux clairs, à la peau blanche et à la chevelure dorée. Notre petit Henry a des cheveux noirs drus et bouclés, la peau noire et un merveilleux regard noir, qui s'accroche au nôtre et semble ne plus vouloir le quitter, nous attendons l'instant où, de ses dents blanches éclatantes, il nous fasse, enfin, son premier vrai sourire.

Dans l'avion qui nous ramène en France, Henry n'est pas trop rassuré d'être dans ce grand oiseau qui vole si haut au dessus de la mer, ses grands yeux noirs interrogent, s'inquiètent et s'écarquillent. Heureusement, au bout d'un moment, cédant enfin à la fatigue, il s 'endort sur mes genoux, le pouce dans la bouche et sans lâcher le nounours qu'il serre fort contre lui.  Indifférent aux planètes et aux étoiles qui dansent, tout près de lui, derrière le hublot.

Je sens qu'il prend progressivement confiance. Et qu'il n'aura bientôt plus jamais peur de la nuit.

cloclo, 15 avril 2010 (photo Internet, ceci n'est qu'une fiction)

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Commentaires
P
Comme quoi, il y a des adoptions qui se passent bien, certaines personnes qui ont lu mon texte trouvaient que j'étais trop optimiste en pensant que l'enfant allait vite s'adapter, moi, je pense qu'il y a des adoptions réussies, ton témoignage en est la preuve. J'espère que tu vas bien. Je pars vendredi à Pau, si les trains circulent, je t'écrirai avant pour te dire quand je passe à Paris... Bises. cloclo
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J
Quelle belle histoire, et quelle belle photo...Et je vais en raconter une VRAIE : ma petite soeur avait 3 enfants en 2000...Ele faisait du bénévolat de temps en temps ds un orphelinat en Tunisie..un jour, elle a remarqué un enfant de 3 ans , un peu à l'écart, observant en suçant son pouce.elle lui a caressé la joue en passant. Il a souri..Une histoire d'amour a commencé avec toute notre famille, elle le gardait les WE, puis l'a adopté..Sofiane, notre amour à tous, et qui connait la valeur de l'amour..!Ele lui a expliqué peu à peu son adoption..un jour il lui a dit "Maman, c'est extraordinaire, tu ne m'as pas porté ds ton ventre, mais tu m'aimes et je t'aime, quelle chance merveilleuse..! (oui,et pour nous aussi..)..
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