PEINTURE A L'HUILE
Merde, j'ai encore envie
de vomir, je lui avais bien dit, à Francesco, de ne pas ouvrir cette boîte de
sardines à l'huile, c'était pourtant bien écrit au dos : date limite de consommation : juin
1505, et on est en septembre. Comment vais-je faire pour tenir encore trois
heures sans bouger !! Et l'autre, là-bas, avec son pinceau en l'air, qui me
demande de sourire ! Je voudrais bien, moi, sourire, mais s'il croit que c'est
facile quand on a des crampes d'estomac et des hauts-le-coeur ! Profitons qu'il a
le dos tourné pour appuyer mes mains sur le ventre, avec un peu de chance, il ne
verra rien !! Merde, il s'en est aperçu, mais au lieu de protester, le voilà qui
me félicite : Mona, ne bougez plus, cette nouvelle pose est on ne peut plus
seyante, appuyez bien votre main droite sur la gauche, non... oui, comme ça,
voilà, parrrrfait.. . Quel con, dans cette
posture, j'ai plus mal encore. Et mes mâchoires, que je ne sens plus à force de
sourire bêtement pour la postérité. Souris, qu'il m'a dit Francesco, tu sais que
j'ai commandé ce tableau pour la naissance du bambino, une naissance, c'est un
bel événement, et on l'accrochera au dessus de notre lit pour l'éternité. Bien
sûr que c'est magnifique, d'avoir un enfant, mais ce qui l'est moins, c'est cet
horrible mal de ventre. Mais qu'est-ce qu'il
dessine donc à l'arrière-plan ? On dirait un lac et des montagnes !! Et une
route en lacets ! Mais ce n'est pas le décor de notre maison de Florence ! Quel
imaginatif, ce Léonardo, je suis sûre que Francesco ne va pas aimer, il a horreur
de la campagne ! Je lui en toucherai deux mots à la pause. Mona, arrêtez de
grimacer et de vous tordre en tous sens, on dirait un vrai ver de terre.
Allez-vous vous calmer, enfin, vous m'empêchez de faire du bon travail ! Et vous voilà violette, à présent, ne
m'obligez pas à changer de tube à tout bout de champ ! Ce n'est pas la Joconde
que je vais l'appeler, ce tableau, si ça continue, mais la
Rubiconde... Et moi qui ai laissé les
clés à Francesco, en ce moment , il doit être à son club, impossible de le
joindre et le portable n'a pas encore été inventé. Mamma mia,que
calor, si au moins il ouvrait une fenêtre, je pourrais respirer ! Et cette robe
qui me colle à la peau, quelle idée de me faire poser dans un tel accoutrement
...Je vais être horrible et Francesco risque de me quitter pour une autre. J'ai
l'impression que je vais éclater...il doit bien faire 35 degrés dans cette
piaule ! Et ces cheveux qui me
tombent dans le cou ! Demain, promis, je vais chez Dessange pour arranger ça et
me faire faire un petit dégradé sympa et flashy. Depuis le temps que je
lui dis, à Franckie, que ça ne me va pas,
les cheveux longs. En plus, mes cheveux sont raides et lourds et graissent à la
vitesse grand V et cette couleur brune me durcit les traits, je demanderai à
Jacquou qu'il m'ajoute quelques mèches blondes, ou auburn, ce sera bien, ça me
donnera un meilleur teint et ça fera plus moderne ! On est en 1505, tout de
même, et plus en l'an 800 ! Oh, là, là, ça me
reprend, mais ce n'est pas possible, pourquoi ai-je accepté de les manger, ces
fichues sardines, je suis écoeurée et ça me donne une haleine de poney, je ne
vous dis pas. Pourvu que Léonard n'ait pas l'idée de s'approcher trop de moi, au
moins !!! Mona, cara mia, c'est
tout pour aujourd'hui, vous avez l'air épuisée, essayez d'être plus en forme
demain, car aujourd'hui, vous m'avez parue bien bizarre, vous ne seriez pas
enceinte, par hasard ? Je fais non de la
tête, si j'ouvre la bouche, je sens que ça va partir. Je saisis mon manteau et
m'enfuis en courant.
cloclo