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Les jardins de Calude
12 novembre 2009

JE CRAQUE

lit

Je ne le fais jamais, je le retrouve le soir  en l'état où je l'ai laissé le matin. Torturé, froissé, entortillé, roulé en boule,  enchevêtré, informe, je devine parfois en lui comme un reproche : alors, pour m'humilier,  ses yeux tentent au mieux de se déplisser, ses paupières de se retendre, et son ventre s'escrime en de vains gonflements, je sens qu'il ne  sortira pas indemne d'une telle situation. Il y laissera des plumes, c'est certain. Et moi avec.

J'aime les lits défaits, les lits qui laissent la trace de leur occupation, qui parlent encore dans le silence des petits matins, mais avec des mots authentiques, appropriés, qui disent juste ce qu'il faut dire, et pas plus, des lits discrets, pas trop curieux, qui prennent des airs détachés, voire indifférents, notamment les  jours  de visite.

Le mien, c'est tout l'inverse. C'est un maniaque doublé d'un fouineur. Chaque matin, il me tient tête, me casse les pieds, tente  de me soutirer un mot, une confidence qui lui aurait échappé la veille ou au cours de la nuit. Quand je suis seule,   que je me tourne et me retourne sur lui sans pouvoir m'endormir, je devine ses récriminations et ses griefs à mon endroit. Il me reproche notamment mon désordre et mon manque de soin à son égard. Il aimerait que je le bichonne, le borde, le cajole, le mignotte, et surtout que je dorme d'une traite toute la nuit en chien de fusil, sans bouger et sans me retourner sans cesse, que j'arrête de me lever à tout bout de champ pour aller boire un verre, regarder l'heure ou
reprendre un livre commencé la veille. Ce qui pour moi est impossible.

Je le suspecte aussi parfois de ricaner derrière mon dos, de se faire ses petites réflexions du genre : " tiens, ça t'apprendra à être seule, bien fait pour toi si tu ne sais pas garder quelqu'un plus de trois mois ! Mais ça n'est pas une raison pour passer tes nerfs sur ma pomme  !"

Quand mon compagnon du moment me rejoint, c'est une autre paire de manches, je devine aussitôt sa colère et sa contrariété de nous entendre rire, nous ébattre, chanter, hurler, sauter sur lui et O anathème suprême, jouer comme des gamins avec SON traversin et SES oreillers. Un égocentrique doublé d'un jaloux. Oui, car Monsieur, en plus de tous ses défauts, est également possessif : je suis sa chose ( même  imparfaite) et il déteste me partager avec un autre.

L'autre soir, il nous a même fait une grosse colère ! Il est sorti de ses gonds, le sommier a cédé, le matelas a suivi et nous nous sommes retrouvés tous les trois par terre. Ah ! ce qu'on a ri, Lulu et moi ! Lui, pas ! Il nous a fait la gueule tout le reste de la nuit, même si, pour apaiser sa colère, nous avons migré  sur la moquette en lui empruntant la couette.

Depuis ce jour, il nous en veut à mort, surtout lorsque  Lulu a claironné bien haut : "Je pense qu'il faudra bientôt le changer, ce fichu lit, ou nous allons nous rompre les os très prochainement ".

Je réfléchis encore un peu, c'est vrai que j'y étais tout de même attachée, à cette chère chose, depuis 20 ans que nous cohabitions, avec des hauts et des bas, c'est certain, mais, somme toute, on ne s'en sortait pas si mal, tous les deux, hein,  mon vieux Canard ?

NB. Je l'appelle Canard quand je veux me l'approprier et le mettre dans ma poche, il me fait alors les yeux doux comme
personne,  se love contre moi de toute sa largeur, m'offre sans restriction ses plumes et ses satins, ses nuits calmes et ses parfums,  alors, là, inutile de vous le dire, comme lui : 

JE CRAQUE !!

PS. J'adore les lits -fouillis, les lits -fatras, les lits pêle-mêle, les lits - souk, et pas les lits tirés à quatre épingles, ceux qui font leur pimbêche, leur chochote, leur Rambo, leur 16°,  j'aime pas les lits bling-bling, au carré, au cordeau, les lits - limande ou les lits-sole, j'aime les lits tourmentés, vivants, avec des creux et des bosses, avec des dos d'âne, des "chaussée déformée" , des pentes à 40% , des "attention travaux",  des "circulation difficile".   Je hais  les lits-déserts, les lits mer d'huile, les lits ciel étoilé, les lits nuit de Chine,  les lits qui n'ont rien à dire, rien à apprendre et surtout rien à retenir. J'aime les lits-souvenir,  les lits bavards, qui parlent pour leurs occupants, et même en leur absence, qui ont une histoire à raconter, à inventer, à vivre, à rêver... Voilà les lits que j'aime et voilà pourquoi je "craque" pour le mien. Parce qu'il est tout cela et encore bien davantage.

cloclo

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Commentaires
P
C'est vrai, il y a des objets de notre entourage qui ne nous aiment guère, ou alors qui nous aiment trop. Toi, j'ai l'impression qu'ils te détestent, et moi, il me vouent plutôt un tel culte que j'ai du mal à m'en détacher. Mon lit est un vrai pot-de-colle et le reste de mes bibelots s'accroche à moi comme une sangsue. En revanche, je casse très peu (hélas !) Ca me débarrasserait de bien des choses inutiles. Bises. cloclo
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J
Ton texte m'amuse d'autant plus que je suis très maladroite et lorsque je fais tomber ou même brise quelque chose,je m'en tire toujours en disant:"les objets ne m'aiment pas !".En fait,ton lit t'aime trop:il se permet même d'être possessif.Bonne fin de semaine.Je t'embrasse.Jacqueline
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