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Les jardins de Calude
1 avril 2009

DEDICACE

d_dicace

Je relis tes poèmes d'amour, tous adressés à des femmes inconnues. Aucun d'entre eux ne m'est destiné, aucun d'entre eux ne le sera jamais. Pas plus que ceux que tu as écrits  depuis, ou ceux que tu écriras  un jour, qui sait ? Cependant je ne peux m'interdire, en en relisant certains, parmi mes préférés, de les faire miens, de me les approprier, de m'imaginer que tu me les dédies le soir, lors de nos rares rencontres, dans les silences bleutés de la nuit et la paix des âmes et des corps, à voix basse, de ton joli timbre de voix qui me fait tant rêver.

Tu me les chuchotes à l'oreille, dans un demi-sommeil, et lorsque ta voix se tait, et que j'entrouvre un oeil, je ne sais jamais si c'est toi qui a parlé ou si c'est le prolongement  des vivants fantômes qui surgissent de  mes  nuits pour venir empiéter  sur les formes  réelles et tangibles de nos petits matins.

Je m'imagine tout cela, en y pensant très fort, en tentant vainement de m'en persuader , tout d'abord pour ne pas briser  le lien fragile qui m'unit à toi, mais pour tisser avec et autour de nous une toile imaginaire qui nous retiendrait tendrement mais fermement captifs ,  petits insectes autonomes mais  satisfaits de leur prison, enfin et surtout pour briser la douleur qui m'empoigne et m'envahit chaque fois à  la lecture de ces textes.

Parallèlement, je me rassure en me disant que ces poèmes, puisqu'ils sont publiés, abandonnés au regard et à la compréhension de chacun, ont forcément perdu de leur caractère confidentiel.  Livrés ainsi en pature au lecteur, il n'appartiennent plus à celle à qui il était initialement destiné. Et cela me fait un bien fou !  S'ils ne s'adressent plus à UNE seule personne, au fond, c'est qu'ils sont à toutes, dont moi, à toutes celles et à tous ceux et celles qui les liront.  Et quel qu'en soit  l'auteur, le destinataire, l'oeuvre ne sera plus   qu'un simple "produit" banalisé, romanesque ou poétique, un livre de bois et de papier, de carton, d'encre et de colle, un livre parmi tant d'autres, sans dédicace ni intention particulière. Un livre qui sera devenu, en quelque sorte,  la propriété de tous.

Je me console alors de n'être la muse de personne, même si j'en ai émis naguère  très vaguement le souhait. J'ai campé un jour mon bonheur sur le plus haut des nuages, libre à moi de le laisser redescendre, de le laisser échapper pour un autre plus accessible, plus palpable, plus réel. Libre à moi aussi de le laisser vagabonder , inlassablement, d'aller et repartir au gré de ses volontés et de ses fantaisies. Mon bonheur et ma destinée m'appartiennent, ils sont entre mes mains, j'en ai la très vive et totale conscience.

S'il me faut jouer la pièce en solo, je la jouerai, là n'est pas mon problème, je n'ai besoin ni de répétiteur ni de souffleur, j'ai en réserve des dizaines de tirades toutes prêtes que je saurai déclamer sans peine,  sans notes, le moment venu, pour charmer et impressionner mon auditoire. S'il le faut même,  je lui livrerai ces mots qu'au départ, je n'avais écrits que pour toi, et qui se sont perdus dans les refus de ta détermination. J'espérais les garder confidentiels,  mais me faisant ton écho,  je les réciterai en les jetant à tous, à tous ceux qui auront fait la démarche de m'écouter et de m'entendre, livrant ainsi mon âme nue au regard et à la critique du public venu spécialement pour moi.

Libérée je serai, de ces mots qui me pèsent et m'encombrent pour les avoir gardés et enfouis si longtemps au fond de moi, pour n'avoir pas trouvé un partenaire décidé à les accueillir et à les recevoir,  je les offrirai en cadeau à tous, et chacun pourra y prendre et glaner ce qui lui convient. Ce ne sera que la monnaie de la pièce que je te rends.

Sans amertume, sans idée de revanche, juste pour ne plus supporter le poids de tous ces mots, de ces lourds papillons  aux ailes demesurées  qui ne demandent pourtant qu'à prendre leur envol...

Si un jour, par hasard ou volonté de ta part,  tu te trouves dans la salle, alors, s'il te plaît, ne porte pas sur eux un jugement trop sévère, crois au moins une fois à mon amour sincère et à la spontanéité de mes sentiments. Toujours aussi purs et intacts. Car ce seront les mêmes que ceux qui m'ont envahie il y a quelques années, lors notre première rencontre.

Je t'ai juste menti en te disant plus haut que mes poèmes appartiendraient désormais à tous. Tu l'as sans doute compris : ils ne s'adresseront jamais qu'à une seule personne, qu'à un seul spectateur,  il ne pourrait en être autrement, même si quelques paires d'oreilles t'accompagnent pour les entendre, ils te seront  ma seule, mon unique  dédicace...

© cloclo, 1 avril 2009

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