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Les jardins de Calude
28 mars 2009

DERNIERS INSTANTS

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La mort n'était plus très loin, je la sentais rôder depuis plusieurs jours, insidieuse et perfide, figée dans son attitude de froideur et son effroyable masque de douleur. J'aurais voulu la zapper, l'éloigner à jamais, fuir à toutes jambes, ne jamais revenir, mais impossible, elle me suivait partout, dans chaque pièce de la maison, même si plusieurs portes me séparaient de la chambre maudite. Il ne restait plus qu'à tenter de l'ignorer tout simplement, de passer à côté d'elle sans la regarder, de fermer les yeux pour ne plus voir ce terrible spectacle, de se boucher les oreilles pour ne plus entendre ses cris. Ne plus avoir à affronter ce regard suppliant, interrogatif, qu'elle vous lançait chaque fois. Dis-moi, non, ce n'est pas vrai, je ne vais pas mourir, pas encore, je vais mieux, hein, mais dis le,  dis le, que je vais mieux !   

Se taire plutôt que mentir.

Je lui remontais ses oreillers, poussais le chauffage, lui donnais un verre d'eau,  essuyais son front, lui prenais  la main, pour la rassurer. Oh ! cette main glacée de la mort, on souriait pour s'empêcher de pleurer, ou de crier son désespoir. Le médecin va venir, il le doit, il va te faire la piqûre, tu verras... On se retournait pour voir, non, il n'était toujours pas là, on paniquait intérieurement, mais on gardait un calme apparent, pour ne pas la troubler .   S'il arrivait trop tard ?  Toujours l'éternelle angoisse, celle du dernier moment,
être seule face à la perfide camarde, qui fauche tout sur son passage. Un médecin, ça rassure, ça dit des choses réconfortantes, sa voix ne tremble pas, comme la mienne, ses mains ne sont pas moites, comme les miennes, et son visage n'est pas creusé comme le mien par les heures de veille et de pleurs...

On pourrait la conduire à l'hôpital, mais pour quoi faire ? Elle sera si bien chez vous, quelques heures, qui sait, quelques jours  encore, entourée de tous les siens a dit l'homme de l'art. Mais il n'y a personne ! Tout le monde a fui, à part moi.  Dans cette société qui veut exclure la Mort et ne s'intéresser qu'aux vivants, de préférence jeunes et en bonne santé, je me retrouve face à face avec elle, dans un dialogue impossible, dans un corps à corps perdu d'avance, où le nom du vainqueur  est déjà connu, où le vaincu est toujours le même.

Faire face plutôt que fuir.

Tenir bon. Ne pas craquer. Il ne fallait surtout pas gâcher ces moments, les derniers où j'entendrais encore le son de sa voix, et quand le silence de la fin serait venu, fouiller son regard, tenter de deviner, à travers lui, le dernier message qu'elle voudrait me transmettre. A moi et à tous les absents. Ne pas gâcher ces précieux instants, par lâcheté ou toute autre forme de faiblesse, affronter courageusement, si on le peut,  le dernier acte de la vie, résumé de tous les épisodes d' une Vie. Faire acte de présence, c'est déjà faire acte d'Amour. Le vivre comme un moment privilégié et unique de partage, d'échange et de bonheur avec celle ou celui qu'on a aimé toute une vie.

Et puis en garder  à jamais le tendre souvenir.

La véritable mort, c'est quand il n'y a plus personne pour penser à vous.

cloclo

J'en profite pour vous livrer ce texte admirable d'un médecin , dont la Mort est souvent le pain quotidien. Ainsi que ses réflexions personnelles (que je partage entièrement) sur les positions actuelles de notre société  occidentale face à la mort.

Ben voilà, on en est tous là. Il n'est pas facile de dire à quelqu'un les yeux dans les yeux " C'est fini,vous allez mourir". Il n'est pas facile de prendre la main d'un malade grave qui s'éteint et qui le sait . Il est plus facile de se cacher derrière une prescription: " Prenez ça, vous allez voir..." Vous allez voir quoi ? Peut être que si l'on avait l'habitude d'afficher clairement les objectifs aux patients, on se cacherait moins derrière les médicaments. Encore faut il avoir soi même des objectifs clairs dans sa tête de médecin et c'est loin d'être le cas. Dans d'autres circonstances,on se cache derrière la technique ( réanimation, urgentistes). Comment va Monsieur Untel ? La réponse est une floppée de chiffres dont on se fout . L'essentiel est dans l'appréciation qualitative de la vie qui reste mais ça , c'est plus difficile à exprimer.

Pas facile non plus pour un médecin de dire à un patient: "Je ne peux rien pour vous. Je suis impuissant devant le mal qui vous emporte. Pas facile de dire à un gosse : je ne vais pas pouvoir sauver ta maman, elle va mourir". On a l'impression d'être le salaud de service, l'oiseau de mauvaise augure, complice de la camarde, qui sait?...

D'ailleurs nous sommes dans un monde ou on ne veut plus voir la mort . Une patiente a été choquée qu'on ait ramené le corps de son beau père à la maison.... "C'est horrible" disait elle, "en plus même pas dans un cercueil ".... Maintenant, la norme ,quand on ne meurt pas à l'hopital, c'est d'être dégagé vite fait  à peine le dernier souffle terminé vers une "chambre funéraire". D'ailleurs, un décès est devenu une urgence : vite signer le papier pour qu'on puisse déplacer le cadavre. C'est un comble. Il faut bientot le gyrophare pour aller signer le certificat de décès!

A l'heure où le sexe s'affiche, la mort se cache. Au moyen âge c'était l'inverse.Ces deux là , objets de tabous de tous temps se fuient... Il y a soixante ans,ce n'est pas si vieux, on n'hésitait pas à coucher le gamin à côté du mort pendant qu'on le veillait. Et à voir nos anciens qui l'ont vécu, je ne pense pas qu'ils soient plus traumatisés que nos contemporains...

Non seulement les médecins ne sont pas formés, mais ils reçoivent ça en pleine gueule, comme l'empathie est leur spécialité quand même plus ou moins, ils souffrent . Alors, c'est humain, ils essaient d'éviter cette confrontation douloureuse , alors à chacun son stratagème: on se blinde, on se réfugie derrière la technique, on part aux Bahamas, on fuit le métier , on boit,  on se drogue, on sublime dans autre chose...

Le drame est que les médecins ne sont pas accompagnés ni soutenus dans cette marche vers leur propre mort et celle de leurs proches .Et c'est là peut être une des causes de la désaffection de la médecine. Pourquoi les médecins iraient ils vivre dans des villages d'ou tout le monde s'en va disait-on il y a peu ? Pourquoi les médecins resteraient ils les seuls à côtoyer la mort, à se battre contre elle à un moment ou elle est occultée par le reste de la société ? Pourquoi se retrouveraient ils tout seuls le soir devant leur verre de Whisky, seul réconfort apres toutes ces souffrances accumulées dans la journée?

Quatre fois plus de suicides chez les médecins que dans la population générale. .... Pour ne garder que l'indice le plus criant et le moins discutable mais on peut parler de l'alcoolisme et des autres psychotropes...

Eh bien oui, nous allons nous dégrader et puis mourir. Inutile de nous cacher , inutile de fuir. Qu'est ce que vous croyez? Qu'on est dans un jeu vidéo avec la possibilité de reprendre la partie si on se trompe? La mort nous rattrappera toujours. Alors comment faire en attendant pour bien vivre? Telle est la question ..

Michel AUJOULAT, médecin, communication à d'autres confrères.

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Commentaires
P
Coïncidence, France 2 passe jeudi 2 avril, à 22h45, un documentaire de MIREILLE DARC sur le sujet de la mort, "Voyage vers l'inconnu", je vous engage à le regarder, il se passe en partie à Gardanne, dans une maison pour soins palliatifs et l'on y suit plusieurs pensionnaires, qui ont des attitudes toutes différentes face à leur mort prochaine. "Le deuil, ce n'est pas de se sentir séapré de quelqu'un, c'est lui permettre de vivre à l'intérieur de soi et continuer à l'aimer, d'une autre façon." (Nadège)
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