NAISSANCE D'UNE MERE
Je profite de l'occasion de la naissance de Léandro pour exhumer un poème que j'ai écrit il y a quatre ans et qui développe l'idée que la venue au monde d'un premier enfant est une double naissance : celle de l'enfant, bien sûr, mais aussi celle de la maman, fragilisée par ses doutes et tous ses questionnements. Le bébé, quant à lui, n'est pas ce petit être vulnérable qu'on imagine, il possède en lui un potentiel de force vitale et une énergie de vivre absolument incroyables. C'est cette énergie qu'il va, dès les premiers instants de la vie, transmettre instinctivement à sa mère. J'ai essayé de traduire ce phénomène par un retournement de situation et d'inversion des rôles. cloclo
Je m’endors dans tes bras calmement mon bébé, si calme
et si paisible à la fois, que je dois, de tes yeux nouveaux nés,
te désarmer sans doute par tant de fragilité !
Pour toi ce nouvel être qui dérange ta vie, il n’est qu’un étranger,
tu l’observes, tu l’épies : « Va –t’il me plaire, vais – je le détester ?
Va - t’il sourire, va - t’il pleurer ? » Tu me connais si peu,
sauf du passé récent une voix en sourdine,
avant le grand événement,
peut-être…
Vois, je m’enfouis tout entière dans les plis de ta chair
potelée. Me repaissant de ta peau,
dévorant ton corps nu
qui m’offre sans calcul, sans frein, sans retenue,
ses rondeurs, moi ta mère, moi ta tendre inconnue.
Je les mords goulûment, en ultime refuge
et le lait maternel vient apaiser mes faims.
Plus tard, en grandissant, tu trouveras pour moi
des jeux et des jouets tout pleins de fantaisie,
des poupées, des soldats et des cubes de bois
que je te jetterai juste pour te faire rire.
Je m’endors dans tes bras calmement mon bébé,
tu me chantes des airs que je ne connais pas.
Qui sait si cette nuit trouvera
à ta voix un écho,
à tes cris d’autres voix,
d’autres forces de vie,
si petit, si puissant, mon bébé, je t’envie !
Bientôt, tu guideras nos sorties quotidiennes,
par tes regards instruits, ton assurance pleine,
tu m’offriras du fin fond de ta bulle
un minois pur et rose
et des yeux bleus si clairs
que j’y lirai presque comme à ciel ouvert
l’épure de nos doutes,
l’esquisse du bonheur.
Je m’endors dans tes bras calmement mon bébé
toi tu veilles sur moi, en veilleur perspicace
car du bout de tes doigts,
sans t’avoir informé,
tu les nommes par cœur :
mes accrocs, mes erreurs,
mes déroutes, mes peurs,
mes manques, mes absences,
mes craintes, mes faiblesses,
et tant de maladresses,
tant d’attentes fébriles,
toutes les fêlures,
toutes les brisures
toutes les déchirures,
tous les morceaux éparpillés,
à recoller,
de mon amour fragile
pour toi mon adoré
qui m’a fait naître à la vie.
© cloclo, 2005