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Les jardins de Calude
20 juin 2014

LA deuxième phrase...

LA DEUXIEME PHRASE...

 

Ceci n’est pas, comme vous pourriez le croire, la première phrase d’un roman. Toute ma vie, j’aurai voulu écrire, mais aucune première phrase ne m’est jamais venue. Les première phrases sont, à mon goût, trop conventionnelles, trop attendues. D’aucuns disent parfois  que c’est la première phrase qui fait tout le roman. Si elle est ratée, le reste suivra et bien des lecteurs  lâcheront même leur lecture en route, voire à la troisième ou à la quatrième page.  Souvenez-vous du : longtemps, je me suis levé de bonne heure. Tout le monde ne sait pas que c’est Marcel Proust qui a écrit cette phrase. Certains ignorent même son nom et à fortiori le titre du roman, mais tout le monde connaît cette première phrase si ordinaire, si  tristement banale et commune que n’importe quel individu, même illettré, pourrait l'avoir écrite à quelque moment de sa vie. D’accord, il faut avoir un certain âge pour pouvoir le faire, mais n’oublions pas qu’à 20 ans, un individu  s’est déjà levé chaque matin au moins 7300 fois.  Si on considère qu’il a perdu la mémoire des premières années, et si on retire les jours de maladie où il a dû garder la chambre, disons qu’à 20 ans, il aura eu  la conscience de s’être levé déjà, disons…environ 5400 fois… ce qui n’est déjà pas mal. Longtemps, je me suis levé de bonne heure : est-ce une phrase à ce point originale pour qu’on en parle encore ? Hum, hum, permettez-moi d’en douter !

Prenons une autre phrase : aujourd’hui, maman est morte.  Autre phrase banale, bien sûr, mais plus rarissime, on perd moins de fois sa mère dans une vie que l’on ne se lève, mais tout de même ! Ca arrive à tout le monde, ou presque, hélas, mais pourquoi diantre l’auteur at-il voulu commencer à écrire le jour même ? Au lieu d’attendre le lendemain ou quelques jours plus tard ? Il me semble qu’en ces circonstances, trop de  formalités et de démarches de tous ordres auraient dû l'en empêcher et en retarder l’écriture, sans compter le chagrin, la famille, les amis venus partager ces durs moments,  que sais-je encore ! Et puis,  commencer un livre d’une manière aussi triste risque de déstabiliser le lecteur, non ? Imaginons qu’il ait acheté le roman pour se détendre, pour oublier ses soucis personnels, son mal-être, ses angoisses, ses maladies, que sais-je encore ? Un tel début, ça plombe un peu l’ambiance, c’est une très mauvaise entrée en matière, ça, je vous l’affirme !

 Autre exemple de première phrase inutile : Colin terminait sa toilette. Est-ce bien utile de le préciser ?  S’il l’a commencée, il vaut mieux qu’il la termine, n’est-ce-pas ? Je ne l’imagine pas aller travailler avec de la mousse à raser sur les joues ou du dentifrice collé au menton ! Et puis, qui ne se lave pas le matin au lever ? Bon, Marcel Proust a dû se laver avant tout le monde, mais quel intérêt pour la suite du roman ?  Non, décidément, les premières phrases ne me disent rien qui vaille. C’est pourquoi j’ai décidé d’emblée de commencer mon roman par la seconde. Ca créera sûrement un suspense, un étonnement, car le lecteur  va se dire jusqu’au bout : mais quelle pouvait donc bien être la première phrase de ce passionnant roman ? Bon, je reconnais que cela risque de le perturber un peu, mais pas davantage, je crois, que ces phrases curieuses et superflues que je viens de citer plus haut.

Ah ! J’oubliais, il y a aussi le célèbre : nous n’avons séjourné qu’un jour à Com. Mais qu’est-ce que ça peut nous faire, à nous, lecteurs ? Premièrement, on ne sait pas à quoi ce nous peut se référer, car à ce stade du roman, la présentation des personnages n’a pas encore été faite, s’agit-il d’un nous de majesté ou bien d’un nous collectif, dans ce cas, combien étaient-ils ? Deux, trois, dix, 100 ? Deuxièmement, où se situe ce fameux Com dont personne n’a jamais entendu parler? Est-ce une ville, un pays, un territoire, un domaine ? Ou une pure invention de l’auteur ?  Ensuite, peu nous importe qu’il (qu’ils) aient séjourné un seul jour dans une ville qu’on ne sait pas situer, dans un pays qu’on ne connaît pas et qui peut-être n’existe que dans l’imagination de son auteur. Trop de questions pour un début, trop de travail des méninges, cette première phrase est épuisante, elle n’accroche pas l’attention du lecteur, mais le déroute, le déstabilise, le tourneboussole.

Voilà pourquoi j’ai renoncé définitivement à écrire une première phrase.

 

(à suivre)

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