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Les jardins de Calude
11 décembre 2013

Leçon de piano

piano02

 

Z‘auront bientôt fini de me tripoter avec leurs sales mains, ces mômes ! Ca veut rien écouter ! Quand on leur dit qu’il faut se nettoyer les ongles avant de venir au cours. Rien à faire, z’ont pas l’temps, qu’ils disent. Quand je pense à autrefois et aux jolis doigts effilés de ces demoiselles de Pampelune, si élégantes dans leurs jupes à fleurs, leur taille fine et bien prise et leur chapeau enrubanné. Sans compter ce parfum subtil qui m’enveloppait suavement la gamme et me rendait tellement marteau. A tel point que je m’emmêlais parfois les noires et les croches, et que j’savais plus si on était en majeur ou en mineur…

Mineure, qu’elle était la Suzanne, dommage, c’était la plus chouette des trois, avec son minois à la Renoir, et ses langueurs de petite fille chlorotique qui vous faisaient chavirer la table d’harmonie. Ah ! Quel plaisir de sentir ses doigts courir sur mon échine, et ses arpèges si subtils, et ses passages du pouce inégalés. J’en avais des frissons jusqu’au fond des pédales. Quand Monsieur Blounote battait la mesure et disait : de la douceur, mademoiselle, du sentiment, vous ne faites pas assez corps avec votre instrument. Ah ! Comme je vibrais, comme j’aurais voulu la prendre tout entière dans mes bras et l’enserrer dans mes cordes. Beau Danube bleu, tout bleu, tout bleu… Elle avait une voix d’ange, la Suzanne, et moi j’étais au paradis, et je faisais tous les efforts possibles, pour être en phase avec elle, un deux trois un deux trois…

Et puis un jour, il l’a chopée comme ça, devant moi, la Suzanne, en plein milieu du premier mouvement de la Sonate au clair de lune, au passage le plus langoureux : sol, sol sol… il lui a appliqué deux gros smacks sur la joue, sol… sol sol…. elle essayait bien de continuer, de tenir la note, sol…sol sol…LA….puis il chercha sa bouche… sol… il l’a trouva sur le fa…si .mi ! Sur le mi le mal était fait. Du tabouret au canapé, il n’y avait qu’un pas, qui fut vite franchi. J’étais vert de jalousie, j’en aurais craché mes 88 touches. Je tentai un dernier couac en brouillant les notes, mais Suzanne était habile, elle rétablit la situation et termina en beauté sur un dernier et aérien arpège. Cinq minutes plus tard, j’étais cocu, et trônais comme un con, inutile et seul au milieu de la pièce, muet et abandonné de tous.

Hélas, les soeurs Pampelune avaient cafté et dénoncé leur cadette, on je ne revis plus jamais Suzanne. Pas plus que ses deux soeurs. Mais parfois je pense encore à elle, et je me la joue en secret, cette sacrée sonate, le soir, bien au calme dans la pièce, quand mon couvercle blanc laqué s’est refermé sur le dernier de ces petits monstres qui hantent à présent le salon. Sol… sol sol…ou plutôt : seul… seul seul….Monsieur Blounote a pris sa retraite, c’est Madame Castafiori, une grande sèche avec les dents en avant qui le remplace, m’est avis que je vais moins rire à présent…

 

Miletune, 5 décembre 2013

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