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Les jardins de Calude
15 janvier 2012

UN BANQUET AU JARDIN


tulipe05


La tulipe, quand elle n’a plus qu’un pétale, fait une fort belle cuillère à soupe extrêmement peu commode… Ca, c’est une phrase de mon jardinier Mick qui cumule en réalité deux emplois : celui de paysagiste-horticulteur à temps partiel, et celui de poète à temps complet. Je le garde car c’est un excellent ouvrier, mais uniquement parce que je l’indemnise à la tâche et non à l’heure, autrement il y a belle lurette que je serais ruinée ! Mon jardinier ne sème que des fleurs, et quelques légumes de poche, le reste ne l’intéresse pas. Je suis le jardinier des couleurs, des arômes et de la poésie incarnée en fleurs, dit-il souvent.

Son amour de la poésie démarre avec la graine, c’est le début de tout, dit-il, le commencement de l’Univers, du monde, des cinq continents, de la France et de votre jardin pour finir. Printemps : je sème à tous vents, c’est le moment de l’attente, de l’espoir, des rêves bientôt accomplis. Mais aussi des espérances déçues, de la graine qui pourrit avant de germer, de celle mal enfouie qu’un oiseau vorace va happer d’un  seul coup de bec, impuissant que je suis à l’en empêcher. Il y a enfin le semis léger qui vole au vent et ira se réimplanter ailleurs, chez le voisin sans doute, où je pourrai encore aller l’admirer.

Premiers élans : la primevère, le crocus, l’élégante jonquille sur sa tige bien dressée. Celle-là, c’est un morceau détaché du soleil, version sauvage du narcisse, qui aime à se nicher au bord des eaux limpides pour y admirer son reflet. La tulipe vient juste derrière. Parfois, selon les anomalies de la météo, elle vient leur tenir compagnie et le jardin s’épanouit sous les contrastes saisissants du jaune d’or et de ces corolles multicolores qui, dans leur générosité, offrent la palette de leurs riantes nuances. A table, crie Mick ! Là, regardez le nombre de cuillères qui jonchent la pelouse ! Avec les pétales des roses, qui, eux, tiendront lieu de petites cuillères, et comestibles par dessus le marché, on pourra faire un fameux banquet !

L’imagination de Mickaël déborde. Il voit dans les iris les chandeliers tout trouvés pour décorer la table, en se penchant sur le parterre de jacinthes, il en arrache un pétale et le brandit devant lui comme d’une clochette  en criant : à la soupe ! Le muguet se dissimule derrière une touffe d’herbe pour ne pas subir le même sort. Quant au muscaris, c’est un rebelle, il va se planter là où il en a envie, je ne peux rien faire pour toi, soupire Mick, tu viens toujours déranger mes plans de table ! La fritillaire éloignera les convives indésirables, je veux parler des taupes, le lilas embaumera nos tables pendant encore de longs jours. La pivoine nous servira de cupule pour y déposer ces mets frais de printemps que sont la salade, le radis rose et les herbes nouvelles…

En été, Mick ne se sent plus de joie. Il tond, il plante, il creuse, il ratisse à s’en donner des étourdissements. C’est le derviche tourneur de mon jardin, il ne marche pas, il court, puis tombe en arrêt sur un spécimen qu’il n’avait pas vu grandir : c’est un soyeux pavot, une  tendre ancolie, une fière lavande, un solide zinnia, un freesia, si délicat, si fragile sur sa tige. Sans oublier la lumineuse aconit ainsi que la grande gentiane, qui répandent au jardin l’éclat de tous leurs bleus. Sa préférée, bien sûr, c’est l’œillet de poète, il le nomme mon double et lui tient des conciliabules insensés.

Parfois, il revient brutalement sur terre. Quoi de prévu au menu ? Nous mangerons des choux décoratifs et des petits pois de senteur. Fruits de la passion pour tout le monde, et pommes d‘amour miniature en supplément. Géranium : fleur de toutes les saisons. Mick a une admiration sans borne pour ces dames, (une fleur ne peut être que féminine) qui résistent si bien à tous les imprévus du temps. Mais il faut les soigner, bien les débarrasser de leurs robes flétries pour les habiller chaque jour de neuf. La fleur est une maîtresse qu’il faut bichonner, cajoler, entourer de sa tendresse. « Sacré géranium, tu sens bon la terre » chante-il en reprenant une vieille chanson d’un "sacré" chanteur belge* …

Entre en juillet la faucille au poignet. Va de ton pas lent, moissonneur de vie, un œil sur ta faux et l’autre sur le ciel. C’est le mois de César, celui des contrastes, de l’eau qui manque parfois aux sols arides des terres brûlées. L’œil de Mick frétille, et se pose en même temps aux quatre coins du jardin. Il faut penser à tout, pas question d’oublier le moindre détail. Lierre, tu t’attaches ou tu meurs, chèvrefeuille odorant, ton parfum m’enivre en grimpant. La rose trémière veut se faire plus grande que moi, elle y parvient sans effort, je peux lui dire des mots doux sans me baisser et attraper un méchant lumbago, fléau de tous les jardiniers ! L’hémérocalle le console, mousseuse et pétillante, on la nomme « beauté du jour » , c’est la reine du banquet.

Champagne pour tout le monde ! crie Mickaël !

Automne, le repas n’est pas terminé. Juste quelques plats bien dorés, ne sentant pas le réchauffé, mais roussis aux vents de toutes les marées. Nous paierons en monnaie du pape, dit Mickaël, ce qui vaut bien notre triste monnaie ! Nous terminerons par la passiflore, de ses fruits nous ferons un succulent sorbet ! Pensée, joyau de la saison, qui ne craint pas d’ouvrir pour nous ses lobes, révélant ses splendeurs et sa sensualité directe. Anémone généreuse et son gros cœur tout noir, aster capricieuse et bien d’autres encore. Automne mordoré, jardin paré de ses derniers habits de fête, nous allons te délaisser pour un temps qui ne sera pas un temps d’inactivité. Tandis que bien au chaud, Mickaël rêvera de ses prochaines semailles, nous attendrons le temps des éclosions spontanées et des miracles réitérés, nous patienterons jusqu’à ce que la nature paresseuse nous revienne à nouveau, plus vigoureuse et plus pimpante que jamais. Nous attendrons sans impatience les errements et les surprises du printemps, hélas tributaire des aléas et des caprices du temps.

Un dernier adieu aux chrysanthèmes et à leur drôle de tignasse ébouriffée, un dernier hymne à l’hellébore, la fleur de tous les Noëls, un dernier regard à quelques rares soucis égarés, et une ultime fois, nous irons fouler, sous le noyer, le crissement des feuilles pour clore dignement ce merveilleux banquet.

Hiver au jardin, ta place va rester vacante pour un temps, mais le couvert est déjà mis.

cloclo

 

 

Sacré géranium, par Dick Hannegarn

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Commentaires
C
Remets-toi vite, chère Lorraine, et reviens-nous en pleine forme ! cloclo
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L
Merci, chère Cloclo, je passe en vitesse, convalescente mais amicale. bises.
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C
Merci à vous trois pour vos compliments. Oui, Dick H. est hollandais, mais a passé une grande partie de sa vie à Bruxelles (d'où cette merveilleuse chanson éponyme) que je vous engage à aller écouter sur youtube. Bon dimanche ensoleillé, le jardin saupoudré de givre nous offre ses kilos de sucre glace et ses desserts géants meringués. Bon appétit. cloclo
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J
Superbe texte ! Bon dimanche.Bises.Jacqueline
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E
où tu retrouves avec bonheur la veine botanique, merci, et merci pour Dick,cet OVNI si poétique
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