Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les jardins de Calude
7 octobre 2011

Maman Rose

rose1

 

Ils vont venir me chercher à 8 heures demain matin. Ils ont dit, on va t’emmener ailleurs, tu vois bien que ta « maman » Rose est fatiguée, elle ne pourra plus s’occuper de toi, désormais.

Maman Rose, ça fait 7 ans que je suis chez elle ; je suis arrivée quand je ne marchais pas encore. Elle m’a tout appris, à bien tomber, à me relever sans pleurer, à tendre les bras vers elle quand je me croyais perdue, quand j’avais l’impression que la petite allée du jardin faisait un kilomètre de long et que je n’arriverais jamais au bout.

Elle m’a appris à ne plus avoir peur la nuit, à m’endormir sans pleurer, sans crier dans le noir. Elle a chassé le grand troupeau de mes cauchemars.

Elle m’a appris à ne plus avoir peur des aboiements de Bouboule, à éviter les griffes de Félix, ainsi que les gros sabots de Marguerite.

Elle m’a appris surtout à ne plus craindre papa Jules, avec sa grosse voix et sa grosse moustache de campagnard. Souviens-toi, dit maman Rose, comme tu avais peur quand il claquait la porte, et lui qui ne comprenait pas pourquoi. Jules est un bon papa, a-t-elle dit encore,  tu ne dois plus jamais trembler devant lui.

Au bout de six mois, je me suis habituée. Je ne sursautais plus quand il criait après les bêtes ou jurait quand il avait égaré sa fourche. Et bien sûr, maman Rose était là pour me consoler.

Parfois, une dame très jeune, bien habillée, venait me rendre visite, elle me prenait sur ses genoux et m’offrait un paquet de bonbons. « il faudra être gentille avec la dame », disait maman Rose avant chacune de ses visites. Puis elle m’embrassait et repartait comme elle était venue. Maman Rose n’a jamais voulu me donner son nom.

Ils vont venir me chercher à huit heures. Je ne veux pas partir, ai-je dit à maman Rose, tu es ma maman, je n’en veux pas une autre. Maman Rose mer assure :  tu reviendras, c’est juste le temps que je me remette, ma petite Claire. Non, je ne reviendrai pas, je le sais, les enfants qui sont partis avant moi ne sont jamais revenus . Mais si ! Mais non !

Je crie, je hurle, je griffe les bras de papa Jules appelé à la rescousse

Je m’étouffe à force de pleurer. Tu sais, dit Maman Rose, j’ai tout fait pour te garder, mais la loi…Je me fous de la loi, moi, je veux rester chez toi, rien que chez toi.

Mon cœur explose dans ma poitrine, j’essaie de ne plus pleurer, mais impossible, les sanglots sortent de moi par saccades. Maman Rose détourne la tête et fait mine de se moucher dans son grand tablier à carreaux.

Vous ne m’aimez pas, vous ne m’avez jamais aimée, hurlais-je ! Parce que je ne suis pas votre fille, vous préférez vos vrais enfants et vos vrais petits-enfants. Je sais que vous les aimez mieux que moi !

Maman Rose ne répond pas, elle n’en a pas la force. Elle attend que la tempête se calme. Je grimpe dans ma chambre en claquant les portes derrière moi. Le coffre à jouets est plein des jouets qu’ils m’ont achetés, je les attrape et les jette un à un par la fenêtre. Pinocchio a failli écraser Mirza, bien fait, il faut qu’il paye, lui aussi !

Quand j’en suis à Nounours, le premier jouet que maman Rose m’a offert, j’ai un instant d’hésitation, il est très laid, avec sa peau arrachée et son œil qui pend, mais il me rappelle tant de souvenirs, mon arrivée à la ferme, mes peurs et mes angoisses, ma première nuit dans une chambre à moi toute seule !

J’ai le cœur en lambeaux, je ne suis plus personne, juste une petite chose perdue sur cette terre, dont on veut se débarrasser à tout prix, et qu’on ne sait pas vraiment où caser. J’en veux à la terre entière, à ces vilains Messieurs de la DDASS, aux lois qui séparent les familles, arrachent les petites filles aux bras de leur maman, même si ce n’est pas la vraie…

Maman Rose a essuyé ses yeux, si bleus, si clairs, mais à présent cernés d’une vilaine couleur rouge. J’ai du mal à la reconnaître. Elle me prend dans ses bras et me berce contre ses larges hanches et son  corps si doux sans dire un seul mot. Je comprends son chagrin, je comprends même qu’elle doit m’aimer un petit peu pour avoir l’air si attristé.

Mais en moi gronde la révolte. Pour la première fois depuis que je suis là, les bras de maman Rose n’ont pas suffi à me consoler. Je suis à la fois triste et en colère, d’une rage dont je ne me serais jamais crue capable . Demain, je vais les tuer, les mordre ou les gifler. Ou leur donner des coups de pied. Ou leur crier ma colère avec tous les jurons de papa Jules, il en a toute une panoplie, j’essaierai de me les rappeler. Tant pis s’ils m’envoient en prison. Je préfère encore ça, plutôt que de trahir maman Rose. Et de faire semblant d’en aimer une autre. Une voleuse, une ennemie, une étrangère.

T’en fais pas, maman Rose, je saurai retrouver le chemin, je reviendrai bientôt, je te le promets…


cloclo

 

Publicité
Publicité
Commentaires
P
oui, il faudrait que les enfants y restent tant qu'ils se sentent bien, et pas au bon vouloir de ces Messieurs...
Répondre
M
La triste vie ballotée des enfants placés. Difficile de se construire dans ses conditions mais heureusement que ses familles d'accueil existent.
Répondre
Les jardins de Calude
Publicité
Les jardins de Calude
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 202 501
Publicité