Les enfants sont partis

Les enfants sont partis. Louis XIV
sort de la bibliothèque et s’avance
vers la table du maître. Un sans-culotte
jaillit d’un pupitre et s’assied dessus.
Jeanne d’Arc tricote au fond de la classe
en gardant son troupeau de participes
passés et présents. Vercingétorix
lisse ses moustaches et, par la fenêtre,
regarde la cour où Jules César
derrière un tilleul se cache peut-être.

Les enfants sont partis. La craie barbouille
le tableau et fait exprès des fautes de français
le maître n’est plus là pour corriger
le chiffon en profite pour effacer la craie
les chiffres s’emmêlent et les crayons
ne savent plus dessiner, les lignes s’écartent
et le carré fait des zigzags
le compas grave son nom dans les tables
les encriers se renversent sur les cahiers
vous me ferez cent lignes
crie Jules César qui vient d’arriver.

Un vieil écureuil dans un placard bleu
ronge une noisette. Un corbeau s’envole
tenant dans son bec un recueil de fables
Au dehors le vent récite des tables
de multiplication. Un renard dort
près de la fontaine aux voix babillardes
Une rose pleure au pied d’un mur blanc

Des larmes de neige et des pleurs de lune.

Maurice Fombeure fond en larmes
on ne va plus le déclamer
un rat se fait une tartine de beurre
c’est l’heure du petit déjeuner
La cloche s’écrie : à la récré
aujourd’hui elle durera six heures
y a pas de raison, dit le balai
il faudra nettoyer la cour
à l’heure où blanchit la campagne
ou quand les poules auront des dents !

Sous le préau dansent des mots
qui ne font jamais leur pluriel en au
comme bal, bancal, cal, cantal, chacal
choral, festival, final, mistral, pal

j’ai vu l’autre jour un chamal
qui se promenait dans le désert d’Arabie
dit la fourmi qui est menteuse
c’est bien là son plus gros défaut
on dit bien un choral, des coraux
dit le chameau en retrouvant son orthographe
Saint Louis se signe sous son chêne
ce n’est pas ce qui le gêne
il en a vu des vertes et des pas mûres
comme la souris qui descend de son mur
et va courir dans l’herbe fraîchement tondue.

Dans un coin, Pasteur et Victor Hugo
jouent aux billes avec une ombre fine
celle d’un maître d’autrefois, je pense,
qui connaissait bien l’histoire de France
et qui marchait dans ses rosiers tous les jeudis
ses mains sentaient la craie et la verveine.

Charlemagne pique des fleurs dans sa barbe moussue
odeur des pluies de mon enfance
récite-t-il sans hésiter
il se met à pleuvoir à foison
y a plus de saisons dit le printemps 
et plus de concordance des temps
puis laisse sa place au bel été
pour s’en aller gambader
avec les enfants en vacances tandis que
les bancs et les bureaux font la java à tout casser.
Puis tout se calme et tout s’apaise
on n'entend plus un bruit de chaises.

Les enfants sont partis. Le vent soulève
un peu de poussière au fond de la classe.

Pierre Gamarra ET  cloclo

N.B. Pierre Gamarra n’est pas seulement un merveilleux poète pour enfants, mais l’un des plus grands romanciers de son temps, je le recommande à tous ceux qui n’ont pas lu ses œuvres (souvent difficiles à se procurer, surtout au nord de la Loire), j’ai lu de lui Romances de Garonne (poèmes), Cantilène occitane, Les lèvres de l’été et le fleuve palimpseste ( magnifiquement écrit, grand prix du roman) Il a écrit également quatre pièces de théâtre. Il est né à Toulouse en 1916, je crois. cloclo

Comments

[cloclo]

j'ai mis le résumé sur mon blog aujourd'hui, 22 mars...

[jsp]

j'ai lu ce roman il y a 30 ans, mais je me souviens encore de la poésie qui planait sur Toulouse, ses quartiers, ses environs malgré le danger de la Résistance.

Si vous avez le livre, pourriez-vous en faire un petit billet à son sujet?

Ma mémoire, sans le soutien du bouquin, risque d'être par trop floue...

[plumeagile02]

Si tu peux, procure toi ses oeuves, ses poèmes pour enfants sont un délice, j'en possède un certain nombre que j'ai glanés ici ou là, je tâcherai d 'en mettre de temps en temps sur mon blog. Les enfants doivent l'adorer, car il est drôle et surréaliste, un peu à la façon de Prévert. cloclo

[ileana]

J'adore !
Et je ne connaissais pas cet écrivain poète. Merci !

[emma]

habile et chaleureux entrelacement de deux plumes pleines de tendresse