UN BON DEBUT

Voilà 6 heures que je m’escrime à trouver un bel incipit pour mon livre. N’est-ce pas lui qui va inciter le lecteur, au milieu d’une montagne d’ouvrages, tous plus épais et aguicheurs les uns que les autres, à choisir impérativement le mien ? Si l’incipit est mauvais, la partie est perdue. L’acheteur n’ira pas plus loin, il ne se donnera même pas la peine de lire la deuxième ligne, même si celle-ci est nettement meilleure que la première.

L’incipit doit donner l’envie de lire mon livre, et de le lire, si possible d’un trait, jusqu’au bout, sans jamais perdre le fil, c’est l’hameçon qui accroche sa proie, tout le reste devenant une simple formalité, un jeu d’enfant. Le lecteur est ferré dès la première ligne.

Il se dressait… il, pronom mystérieux qui pourrait aussi bien désigner une chose qu’une personne ou un animal; Il, le monument, le phare, le mémorial, le marin, le chien : il se dressait de toute sa hauteur, sur ses pattes arrière, sur ses ergots… Dresser implique une certaine dimension, une certaine fierté, voire solennité… Laisser planer le doute, ne serait-ce qu’un court instant, pas mal, pour un début. Mais où veux t’il donc nous mener ?

Sur un promontoire : j’aurais pu mettre : sur un rocher, sur une jetée, un cap, une avancée, mais promontoire est un mot noble, qui a une belle sonorité, et confère à la phrase une certaine tenue, ajoute encore de l’élégance et de la hauteur au mot dresser. Pas mal. Je crois que je vais garder.

de Vladivostok. Là, on entre carrément dans l’exotisme. Mais qui donc pourrait situer précisément cette ville sur la carte ? Je sais juste qu’elle se situe à 9300 km de Moscou (ça donne le frisson, non ?) qu’elle est à seulement 3 jours du transsibérien, et qu’elle a vu naître Yul Brynner et le groupe Mumiy Trol ( ???). Qu’il peut faire jusqu’à -31° en hiver et qu’elle est noyée dans le brouillard près de 100 jours par an.

Beau début pour une intrigue, non ? Dans un pays aussi froid et brumeux, il ne peut se passer que des choses étranges et absolument terribles. Le scénario entre tout doucement dans ma tête, les personnages se dessinent, je vois les visages crispés par le givre, les moustaches prises dans la glace, les manteaux et les toques de fourrures qui errent dans les rues désertes de la ville. J’entends le vent hurler au dessus de leurs têtes. Quelques loups dans le lointain… Hou…. Je me fais peur….

Il se dressait sur un promontoire de Vladivostock… La phrase est bancale, trop courte, il faut trouver autre chose. Après tout, Vladivostock est encore trop connue, on ne sait pas où ça se trouve, certes, mais on connaît le nom, tout le monde a prononcé ce mot au moins une fois dans sa vie ! Tandis que si j’écrivais : Emar, ou Sadgorov, ça, c’est mieux, encore plus dépaysant, je suis sûr, d’ailleurs, qu’il fait plus froid à Emar qu’à Vladivostock, et que la vie y est plus rude, plus angoissante qu’ailleurs. Bon choix pour un thriller.

Bon, il faut se décider, Emra, Sadgorov, Trudovoye ? On verra plus tard. Pour l’instant, je vais écrire : à cent, non, c’est trop près, vu les distances énormes qui séparent  les  villes. Deux cents kilomètres ? Ca, c’est pas mal.

Il se dressait sur un promontoire à deux cents kilomètres de Vladivostok.

Avec un tel incipit, je suis sûr d’emporter le morceau. On ne peut résister à un tel début, non ? Ca vaut bien quand Jenny tomba du voilier en mer… ou autres banalités de ce type ! Là, avec un tel début, on frise les 200 000 exemplaires, me trompais-je ? Et pourquoi pas viser le best-seller, ou même le Goncourt ? Ne lésinons pas sur nos rêves, comme l’a si bien écrit le grand Paul Ricard (2011, île des Embiez)

Bon, ce n’est pas le tout, mais j’ai encore 299 pages à écrire, plus de temps à perdre. J’aimerais bien qu’on me laisse un peu tranquille, ouste, sortez vite de mon bureau et allez jouer ailleurs, les enfants…

cloclo

Comments

[Mony]

Bien vues ces hésitations qui taraudent l'évrivain du dimanche. Mony